Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/201

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Le 28 Juillet 1840


 

I

Sous le regard de Dieu, ce témoin taciturne,
Dix ans — déjà dix ans ! — ont renversé leur urne
Dans ce tonneau sans fond qu’on nomme Éternité,
Depuis que, délaissés dans leur tombe anonyme,
A tous les carrefours, sous le pavé sublime,
Gisent les saints martyrs morts pour la Liberté I

Une terre jetée à la hâte les couvre.
Ceux-ci, gardiens muets, sont restés près du Louvre ;
Au Champ-de-Mars lointain ceux-là sont en exil ;
Le reste dort couché dans la fange des halles,
Et la foule enrouée, aux clameurs triviales,
Étourdit leur sommeil avec son vain babil.

Quand minuit fait tinter ses notes solennelles,
Ils se disent, cherchant les cendres fraternelles,
Et tendant leurs bras d’ombre à quelque cher lambeau :
« Puisque nous n’avions tous qu’une même pensée,
Foule vers un seul but par un seul vœu poussée,
Pourquoi donc séparer nos corps dans le tombeau ?