Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Et, comme je voyais bien des croix sans couronne,
Bien des fosses dont l’herbe était haute, où personne
        Pour prier ne venait,
Une pitié me prit, une pitié profonde
De ces pauvres tombeaux délaissés, dont au monde
        Nul ne se souvenait.

Pas un seul brin de mousse à tous ces mausolées,
Cependant, et des noms de veuves désolées,
        D’époux désespérés,
Sans qu’un gramen voilât leurs majuscules noires
Étalaient hardiment leurs mensonges notoires
        A tous les yeux livrés.

Ce spectacle me fit sourdre au cœur une idée
Dont j’ai, depuis ce temps, toujours l’âme obsédée.
        Si c’était vrai, les morts
Tordraient leurs bras noueux de rage dans leur bière
Et feraient pour lever leurs couvercles de pierre
        D’incroyables efforts !

Peut-être le tombeau n’est-il pas un asile
Où, sur son chevet dur, on puisse enfin tranquille
        Dormir l’éternité,
Dans un oubli profond de toute chose humaine,
Sans aucun sentiment de plaisir ou de peine
        D’être ou d’avoir été.

Peut-être n’a-t-on pas sommeil ! Et quand la pluie
Filtre jusques à vous, l’on a froid, l’on s’ennuie
        Dans sa fosse tout seul.
Oh ! que l’on doit rêver tristement dans ce gîte
Où pas un mouvement, pas une onde n’agite
        Les plis droits du linceul !