Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/319

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Une enfant de treize ans, ton âge, ô Juliette,
Quand la première fois, au milieu d’une fête,
Roméo t’apparut chez Capulet ! — Comment
Était sorti d’un monstre un être si charmant,
Ce bleu myosotis de cette mandragore,
De ce fumier vivant cette perle, on l’ignore ;
La nature parfois, de la difformité,
Comme par repentir, fuit naître la beauté.
Ce qu’on pouvait penser de mieux, c’est que la vieille
Avait dans son berceau volé cette merveille.
En voyant tant d’attraits menacés par ce lord,
Par ce libertin sombre, heureux de souiller l’or
Et de mettre une tache à toute belle chose,
Limace qui se traîne en bavant sur la rose,
Une pitié me prit pour ton œuvre, ô mon Dieu !
Je venais de gagner beaucoup d’argent au jeu,
Et je voulus sauver, car l’enfance est sacrée,
Sa candeur d’un amour qui rappelle Caprée.
J’enchéris sur Maddock de trente mille francs ;
La vieille, émerveillée, ouvrit ses yeux tout grands,
Et je pus arriver, grâce à ce chiffre énorme,
Au rocher d’Angélique avant l’Orque difforme.

Sinclair.
Tu fis bien, et cet or est mieux placé cent fois
Qu’à des souscriptions pour les petits Chinois.
Racheter une blanche est œuvre méritoire,
Quoique moins à la model… Et la fin de l’histoire ?

Georges.
Angélique est sauvée, et Roger amoureux.

Sinclair.
Un amour de vieillard ! diable ! c’est dangereux,