O malheureux enfant ! dit l’ombre impériale,
Retourne-t’en là-haut, la bise est glaciale
Et je suis tout transi.
Tu ne trouverais pas, sur la route, d’auberge
Où réchauffer tes pieds, car la mort seule héberge
Ceux qui passent ici.
Regarde… C’en est fait. L’étoile est éclipsée,
Un sang noir pleut du flanc de mon aigle blessée
Au milieu de son vol.
Avec les blancs flocons de la neige éternelle,
Du haut du ciel obscur, les plumes de son aile
Descendent sur le sol.
Hélas ! je ne saurais contenter ton envie ;
J’ai vainement cherché le mot de cette vie,
Comme Faust et don Juan,
Je ne sais rien de plus, qu’au jour de ma naissance,
Et pourtant je faisais dans ma toute-puissance,
Le calme et l’ouragan.
Pourtant l’on me nommait par excellence, L’HOMME :
L’on portait devant moi l’aigle et les faisceaux, comme
Aux vieux Césars romains :
Pourtant j’avais dix rois pour me tenir ma robe,
J’étais un Charlemagne emprisonnant le globe
Dans une de mes mains.
Je n’ai rien vu de plus du haut de la colonne
Où ma gloire, arc-en-ciel tricolore, rayonne
Que vous autres d’en bas.
En vain de mon talon j’éperonnais le monde,
Toujours le bruit des camps et du canon qui gronde,
Des assauts, des combats.
Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 2, Lemerre, 1890.djvu/57
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