Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 3, Lemerre, 1890.djvu/72

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Elle danse, morne bacchante,
La cachucha sur un vieil air,
D’une grâce si provocante,
Qu’on la suivrait même en enfer.

Ses cils palpitent sur ses joues
Comme des ailes d’oiseau noir,
Et sa bouche arquée a des moues
À mettre un saint au désespoir.

Quand de sa jupe qui tournoie
Elle soulève le volant,
Sa jambe, sous le bas de soie,
Prend des lueurs de marbre blanc.

Elle se penche jusqu’à terre,
Et sa main, d’un geste coquet,
Comme on fait des fleurs d’un parterre,
Groupe les désirs en bouquet.

Est-ce un fantôme ? est-ce une femme ?
Un rêve, une réalité,
Qui scintille comme une flamme
Dans un tourbillon de beauté ?

Cette apparition fantasque,
C’est l’Espagne du temps passé,
Aux frissons du tambour de Basque
S’élançant de son lit glacé,

Et, brusquement ressuscitée
Dans un suprême boléro,
Montrant sous sa jupe argentée
La divisa prise au taureau.