Aller au contenu

Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/190

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

136 DISCOURS rien, qui ne fait rien, à qui rien ne manque, ne jouit ni de . Pabondance, ni du calme de ce séjour : au sein du repos, il est inquiet et agité; il cherche les lieux solitaires; les fetes, les jeux, les spectacles, ne l’att.irent point; la pensée de ce qui se passe en Moravie occupe ses jours, et, pendant la nuit, il reve des combats et des batailles qu’on donne sans lui. Que veux-je dire par ces images? que la véritable vertu ne peut se reposer ni dans les plaisirs, ni dans Yabondance, ni dans l'inaction ; qu’il est vrai que 1'activité a ses dégoûts et ses périls; mais que ces inconvénients, momentanés dans le travail, se multiplient dans l'0isiveté, où un esprit ar- dent se consume lui-méme et s’importune. Et si cela est vrai en général pour tous les hommes, il l’est: encore plus particulièrement pour vous, mon cher ami, qui étes né si visiblement pour la vertu, et qui ne pouvez ètre heureux par d'autres voies, tant celles du bien vous sont propres. Mais quand vous_ seriez moins certain d'avoir ces talents admirables qui forcent la gloire, aprèstout, mon aimable ami, voudriez-vous négliger de cultiver ces talents memes? Je dis plus : s’il était douteux que la gloire fût un grand bien, renonceriez-vous a ses charmes? Pourquoi donc cher- cher des prétextes pour autoriser des moments de paresse et d’anxiété? S'il fallait prouver que la gloire n'est pas une erreur,.cela ne serait pas fort ditlicile; mais, en supposant que c’est une erreur,-vous n’etes pas même résolu de l’a- bandonner, et vous avez grande raison, car il n‘y a point. de vérité plus douce et plus aimable. Agissez donc comme vous pensez, et, sans vous inquiéter de ce que l'on peut dire sur la gloire, cultivez-la, mon cher ami, sans défiance, sans ' faiblesse et sans vanité. C’aurait été une chose assez hardie, mon aimable ami, que de parler du mépris de la gloire devant les Romains, du temps des Scipion et des Gracchus; un homme qui leur aurait dit que la gloire n'était qu`une folie, n’aurait guère été écouté, et ce peuple ambitieux l’eût méprise comme un sophiste qui détournerait les hommes de la vertu mème,