en attaquant la plus forte et la plus noble de leurs passions.
Un tel philosophe n'aurait pas été plus suivi à Athènes ou
à Lacédémone : aurait-il ose dire que la gloire était une
chimère, pendant qu’elle donnait parmi ces peuples une si
haute considération, et qu’elle y était mème si répandue et
si commune, qu’elle devenait nécessaire et presque un de-
voir? Plus les hommes ont de vertu, plus ils ont de'droit
à la gloire; plus elle est près d’eux, plus ils l’aiment, plus
ils la désirent, plus ils sentent sa réalité; mais quand la
vertu dégénère; quand le talent manque, ou la force; quand
la légèreté et la mollesse dominent les autres passions, alors
on ne voit plus la gloire que très-loin de soi; on n'ose nise
la promettre, ni la cultiver, et enfin les hommes s’accou-
tument a la regarder comme un songe. Peu à. peu on en
vient au point que c`est une chose ridicule méme d'en par-
ler. Ainsi, comme on se serait moque à Rome d'un décla-
mateur qui aurait exhorté les Sylla et les Pompée au mè-
pris de la gloire, on rirait aujourd'hui d'un philosophe qui
encouragerait des Français a penser aussi grandement que
les Romains, et à imiter leurs vertus. Aussi n'est-ce pas
mon dessein de redresser sur cela nos idées, et de changer
les mœurs de la nation; mais, parce que je crois que la na- i
tnrea toujours produit quelques hommes qui sont supé-
rieurs a l’esprit et aux préjugés de leur siècle, je me confie,
mon aimable ami, aux sentiments que je vous connais, et
je veux vous parler de la gloire, comme j'aurais pu en parler
a un Athénien du temps de Thémistocle et de Socrate. -
I
Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/191
Apparence
Cette page n’a pas encore été corrigée
137
SUR LA GLOIRE.