Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/207

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
153
DES DIFFÉRENTS SIÈCLES.

de nos pères, et si nous avons à prouver la faiblesse de la raison humaine, c’est toujours dans l’Antiquité que nous en cherchons des exemples. Quelles bonnes gens, disons-nous, que les Égyptiens, qui ont adoré des choux et des oignons ! Pour moi, je ne vois pas que ces superstitions témoignent plus particulièrement que d’autres choses la petitesse de l’esprit humain. Si j’avais eu le malheur de naître dans un pays où l’on m’eût enseigné que la Divinité se plaisait à reposer dans les tulipes ; que c’était un mystère que je ne comprenais pas, parce qu’il n’appartenait pas à un homme de juger des choses surnaturelles, ni même de beaucoup de choses naturelles ; que tous mes ancêtres, qui étaient pour le moins aussi éclairés que moi, s’étaient soumis à cette doctrine ; qu’elle avait été confirmée par des prodiges, et que je risquais de tout perdre, si je refusais de la croire ; supposé que, d’un autre côté, je n’eusse pas connu une religion plus sublime, telle que Dieu la manifestait aux yeux des Juifs ; soit raison, soit timidité sur un intérêt capital, soit connaissance de ma propre faiblesse, je sens que j’aurais déféré, sans beaucoup de peine, à l’autorité de tout un peuple, à celle du gouvernement, au témoignage successif de plusieurs siècles, et à l’instruction de mes pères. Aussi je ne suis point surpris que de si grandes superstitions se soient acquis quelque autorité : il n’y a rien que la crainte et l’espérance ne persuadent aux hommes[1], principalement dans les choses qui passent la portée de leur esprit et qui intéressent leur cœur[2].

  1. Cette pensée a été mise à tort dans les Maximes, où elle fait double emploi, et d’où nous l’avons ôtée. — G.
  2. Var. : « Le reproche le plus souvent renouvelé contre l’ignorance des anciens, est l’extravagance de leurs religions : j’ose dire qu’il n’en est aucun de plus injuste ; il n’y a point de superstition qui ne porte avec elle son excuse. Les grands sujets sont pour les hommes le champ des grandes erreurs ; il n’appartient pas à l’esprit humain d’imaginer sagement une si haute matière que la religion ; c’était une assez fière démarche pour la rai-