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DISCOURS SUR LE CARACTÈRE


ni le rappeler à l’ignorance dont il est sorti; je veux, au contraire, lui apprendre a juger des siècles passés avec cette indulgence que les hommes, tels qu’ils soient, doivent tou­jours avoir pour d’autres hommes, et dont eux—mèmes ont toujours besoin[1]. Ce n’est pas mon dessein de montrer que tout est faible dans la nature humaine, en découvrant les vices de ce siècle; je veux, au contraire, en excusantles dé­fauts des premiers temps, montrer qu’il y a toujours eu dans l’esprit des hommes une force et une grandeur indé­pendantes de la mode et des secours de l’art. Je suis bien éloigné de me joindre à ces philosophes[2] qui méprisent tout dans le genre humain, et se font une gloire misérable de n’en montrer jamais que la faiblesse. Qui n’a des preuves de cette faiblesse dont ils parlent, et que pensent-ils nous apprendre? Pourquoi veulent-ils nous détourner de la vertu, on nous insinuant que nous en sommes incapables? Et moi, je leur dis que nous en sommes capables[3]; car, quand je parle de vertu, je ne parle point de ces qualités imaginaires qui n’appartiennent pas a la nature humaine; je parle de cette force et de cette grandeur de l’âme qui, comparées aux sentiments des esprits faibles, méritent les noms que je leur donne; je parle d’une grandeur de rapport, et non d’autre chose, car il n’y a rien de grand parmi les hommes que par comparaison[4]. Ainsi, lorsqu’on dit un grand ar-

  1. Var.: [« Je ne veux ni blamer, ni changer, ni perfectionner ; cela ne me conviendrait point. Je veux seulement qu’on ne présume pas tant de notre philosophie et de nos arts ; je trouve qu’il est également ridicule de trop déprécier les mœurs antiques, et de les trop relever ; mais il y a un milieu raisonnable, et c’est ou j’aspire. »]
  2. Rapprocher de la 36e Réflexion et du 43e chap. de l’Introduction à la Connaissance de l’Esprit humain. Cette indulgence ot ce respect pour l’homme est un des principaux points de la morale de Vauvenargues; aussi retrouve­rons-nous ces idées dans les Maximes, et ailleurs; quant aux philosophes pessimistes dont il parle ici, il n’est pas douteux qu’il n’ait en vue Pascal, et surtout La Rochefoucauld; à tout moment, Vauvenargues prend à partie ce dernier, sans le nommer. — G.
  3. C’est le cri de Galilée : E pur si muove ! Vauvenargues n’est ni moins convaincu, ni moins convaincant. — G.
  4. Var.: « Quand je parle de vertu, je n’entends point ces qualités imaginaires que la philosophie a inventées, et qu’il lui est facile de détruire, puisqu’elles ne sont que son ouvrage ; je parle de cette supériorité des