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FRAGMENTS.

chose, etc… Il me semble qu’il n’est pas trop nécessaire de défendre l’éloquence. Qui devrait mieux savoir que M. de Fontenelle, que la plupart des choses humaines, je dis celles dont la nature a abandonné la conduite aux hommes, ne se font que par la séduction ? C’est l’éloquence qui, non seulement convainc les hommes, mais qui les échauffe pour les choses qu’elle leur a persuadées, et qui, par conséquent, se rend maîtresse de leur conduite. Si M. de Fontenelle n’entendait par l’éloquence qu’une vaine pompe de paroles, l’harmonie, le choix, les images d’un discours, encore que toutes ces choses contribuent beaucoup à la persuasion, il pourrait cependant en faire peu d’estime, parce qu’elles n’auraient, pas grand pouvoir sur des esprits fins et profonds comme le sien ; mais M. de Fontenelle ne peut ignorer que la grande éloquence ne se borne point à l’imagination, et qu’elle embrasse la profondeur du raisonnement qu’elle fait valoir, ou par un grand art et par une singulière netteté, ou par une chaleur d’expression et de génie qui entraine les esprits les plus opiniâtres. L’éloquence a encore cet avantage qu’elle rend les vérités populaires, qu’elle les fait sentir aux moins habiles, et qu’elle se proportionne à tous les caractères ; enfin, je crois qu’on peut dire qu’elle est la marque la plus certaine de la vigueur de l’esprit, et l’instrument le plus puissant de la nature humaine… À l’égard de la poésie, je ne crois pas qu’elle soit fort distincte de l’éloquence. Un grand poète[1] la nomme l’éloquence harmonieuse ; je me fais honneur de penser comme lui. Je sais bien qu’il peut y avoir dans la poésie de petits genres, qui ne demandent que quelque vivacité d’imagination et l’art des vers ; mais dira-t·on que la physique est peu de chose, parce qu’il y a des parties de la physique qui ne sont pas d’une grande étendue on d’une grande utilité ? La grande poésie demande nécessairement une grande imagination, avec un génie fort et plein de feu ; or, on n’a point cette grande imagination et ce génie vigou-

  1. Voltaire. — B.