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SUR QUELQUES CARACTÈRES.


rien n’égale la sublimité des Arabes. Si l’on remet au théatre quelque vieille comédie, dont l'auteur soit depuis longtemps oubl·ié, c’est cette pièce qu'il préfère et qu'il admire entre toutes; il trouve que le roman en est ingénieux, les vers et les situations inimitables. Lorsqu'il est question de la guerre, ce n'est ni du vicomte de Turenne, ni du grand Condé qu'il lui faut parler; il met bien au-dessus d‘eux d'anciens généraux, dont on ne connait que les noms et quelques actions contestées; enfin, en toute occasion, si vous lui citez deux grandshommes, soyezsûr qu’il choisira toujours le moins illustre, pour en faire son héros. Homme des plus médiocres à· tous égards, il pense follement se rendre original à. force d’all`ectati0n, et ne vise à._ rien de plus. ll évite de se rencontrer avec qui que ce soit, et dé- daigne de parler juste, pourvu qu'il parle autrement que les autres; il se fait aussi une etude puérile de n'étre point ` suivi dans ses discours, comme un homme qui ne pense et ne parle que par soudaines inspirations et par saillies; dites—lui sérieusement quelque chose de sérieux, il répondra par -une plaisanterie; parlez-lui de choses frivoles, il en- · tamera un discours sérieux; il ·ne daigne pas contredire, mais il interrompt à tout propos; souvent aussi, au lieu de vous répondre, il détourne les yeux, comme un homme occupé d'idées plus profondes; il a l'air distrait, aliéné, et une contenance dédaigneuse. Son role est de paraitre do- miné par son imagination, et de n'avoir point d’oreilles pour l’esprit d'autrui; il est bien aise de vous faire ainsi comprendre que vous ne dites rien qui Yintéresse, parce qu'il est trop au-dessus de vos conceptions; ses discours, ses manières, son ton, son silence méme, tout vous avertit que vous n’avez rien à dire qui ne soit usé pour un homme qui pense et qui sent comme lui. Faible esprit, qui, ne croyant pas qu'on puisse attacher par le mérite, imagine qu'on peut imposer par des airs, et qu'on peut étre sin- gulier en s'éloig·nant de la raison.