Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/378

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324 ESSAI contre ses dieux, mais il frissonne en secret d’horreur; il . est offense par quelques paroles méprisantes, mais il fléchit et il dissimule; inquiet ensuite de ce qu'on en pounapen- · ser, il demande raison de son injure d’une voix couverteet hésitante, et se fait grièvement blesser de plusieurs coups; c'est ainsi qu'il ne sait ni pardonner, ni punir, et qu'il ne peut ni vaincre, ni faire éclater a propos sa colere. L’im· puissance de son courage irrite encore ses ressentiments, et il hait d'autant plus ceux qu'il craint. Sa faiblesse ne peut supporter l'idée d’aucune de ces fautes inévitables dont la vie des hommes les plus sages n'est jamais exempte, et, s'il a fait une fausse démarche, ou essuyé quelque dégoût, il projette aussitot de se retirer a la campagne, pour y en- sevelir cette honte imaginaire, et là, le dépit et la mélan- colie le rongent tour à tour. Au moindre revers de fortune, son imagination ne sait plus où se tenir ni où se prendre, et il perd à la fois la prospérité et le courage. ll s’inquiete et il se tourmente pour les plus petites affaires; il ne peut se résoudre ni a les entreprendre, ni à les négliger ; son âme succombe sous le poids de son îndécision et de son indolenoe, fatiguée de oe qu'elle veut et ne peut mettre à fin. Per- suade que ses gens d'afTaires abusent de sa négligence, il n’a pas la force de les en convaincre, et s’il a gronde un valet, il craint ensuite d'en etre quitté; ses enfants eux- mèmes ne peuvent savoir les sujets de plainte qu'il a contre eux; il garde dans sa famille un silence froid et sévère. Si quelqu'un vient à lui pour une affaire, il refuse d’abord les _ conditions les plus honnêtes, puis, quand il les a refusées, il _les regrette. Quoique assez éloigné de l’avarice, il a de la peine à se dessaisir; la vue des misérables le trouble et l’afilige, sans le déterminer a les soulager; a force de diffé- rer de faire du bien à ceux qu'il aime, il les éloigne quel- quefois de lui, comme il perd souvent ses vengeances pour les avoir retardées. ll n’a dans l'esprit que tout juste la force nécessaire pour supporter les humiliations qui l'ac- cablent; son caractere est de flotter entre toutes les vertus