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Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/395

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SUR QUELQUES CARACTÈRES.


ses entrailles, comme un feu ardent qu'il portait au fond deluilméme. ll avait cette fierté tendre d'une ame timide, qui ne veut avouer ni sa défaite, ni ses espérances, ni la vanité de ses vœux; qui dissimule dans un long silence les injures et les faveurs dela fortune, trop faible également pour vaincre et pour produire les agitations de son cœur, et les témérités de son courage'. A cette ambition effrénée il joignait quelque humanité et quelque bonté naturelle. Q Ayant rencontré à Venise un Français· autrefois très-riche, alors misérable et proscrit, le cœur de Cléon fut ému; et, comme il venait de gagner deux œnts ducats à un séna- teur, il dit en lui-méme : Il n'y a qu’une heure que je n'avais pas besoin de cet argent, et il le donna aussitot à ce réfugié, avec des paroles plus touchantes que le bienfait lui-méme. Celui·ci, pénétré d'un procédé si généreux, ne pouvait re- tenir quelques larmes, et il racontait sans déguisement a son bienfaiteur les fautes et leserreurs de sa jeunesse; mais Cléon, qui écoutait en silence, comme quelqu’un qui cher- che une ressource a une fortune si déplorable , s'écrie tout a coup, d'un air inspiré : « Auriez-vous le courage de tuer « un homme, dont la mort importe à l’État et pourrait finir « vos misèresîn L’étranger pâlit, et Cléon, qui observait alors son visage : « Je vois bien, mon ami, que la seule « pensée du crime vous effraie; je vous estime plus de « cette délicatesse dans une si grande adversité, que je « n'estime toutes les vertus d'un homme heureux. Vous u etes humain dans la pauvreté, et vous préférez l'inno- «· cence ala fortune’; allez, vous n’étes pas si malheureux « qu’on peut le croire. » En achevant ces mots, il le quitta brusquement, et partit de Venise, sans l'avoir revu, laissant

  • Add. : ~ Ainsi, les soucis et les espérances le tenaient également alféné;

· sa cruelle et triste ambition dévorsit la fleur de ses jours; et, dans sa plus · grande jeunesse, si quelqu'un, trompé par son age, essayait de le divertir · et d’ouvrir son Ame I la joie, il sentait aussitot en lui je ne sais quelle · elmgrine et hautslne, qui inspirait de la retenue, et qui repoussait . raser. Cu Suédois. •

  • Add. : « Puissiez·vous lléchir sa rigueur! » • l