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Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/467

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ET MAXIMES.

fiers et hardis. Ils traitent de superficielle et de frivole cette splendeur d’expression qui emporte avec elle la preuve des grandes pensées[1] ; ils veulent des définitions, des divisions, des détails, et des arguments[2]. Si Locke eût rendu vivement en peu de pages, les sages vérités de ses écrits, ils n’auraient osé le compter parmi les philosophes de son siècle.

281. C’est un malheur que les hommes ne puissent, d’ordinaire, posséder aucun talent, sans avoir quelque envie d’abaisser les autres[3]. S’ils ont de la finesse, ils décrient la force ; s’ils sont géomètres ou physiciens, ils écrivent contre la poésie et l’éloquence ; et les gens du monde, qui ne pensent pas que ceux qui ont excellé dans quelque genre jugent mal d’un autre talent, se laissent prévenir par leurs décisions. Ainsi, quand la métaphysique ou l’algèbre sont à la mode, ce sont des métaphysiciens ou des algébristes, qui font la réputation des poètes et des musiciens, ou tout au contraire[4] ; l’esprit dominant assujettit les autres à son tribunal, et la plupart du temps à ses erreurs[5].

282. Qui peut se vanter de juger, ou d’inventer, ou d’entendre,

  1. Var. : « La vérité toute nue, quelque éclat qu’elle ait, ne les frappe pas ; ils veulent des définitions, des divisions, des détails et des arguments. » — À propos de ce dernier membre de phrase, Voltaire fait observer avec raison que c’est précisément cela qui est nu ; aussi Vauvenargues a-t-il supprimé le premier. — G.
  2. Add. : [ « Accoutumés à voir la vérité au travers d’un nuage, ils la méprisent, ou ils s’en défient, lorsqu’elle se montre sous un jour éclatant. Leur esprit ressemble à ces verres qui brisent les rayons de la lumière, et qui multiplient les objets ; ils ne connaissent point cette sagacité qui les rapproche, qui en fait un seul tout, qui, sans languir jamais autour des questions, en saisit tout à coup le nœud, marche et conclut rapidement, en simplifiant toutes choses. Pour être estimé de ces gens-là, il ne faut être ni trop éloquent, ni trop concis, ni trop clair. » ]
  3. Var. : « Sans donner l’exclusion à tous les autres. »
  4. Var. : « Un autre inconvénient non moins fâcheux, c’est que le peuple suit les décisions de ceux qui ont primé dans quelque genre. Quand l’esprit de finesse est à la mode, ce sont les esprits fins qui jugent les autres ; quand les géomètres dominent, ce sont eux qui donnent le ton. » — Cette réflexion est à l’adresse de Dalembert, et surtout de Fontenelle. — Voir le 12e Fragment, où Vauvenargues défend formellement contre ce dernier la poésie et l’éloquence. — G.
  5. Les diverses éditions donnent, en variante à cette Maxime, un passage