Il me dit qu’il’avait été fou de la musique dans sa jeunesse, mais, qu’à y un certain âge, on revenait de beaucoup de choses, parce qu’on en jugeait alors de sang-froid. Un moment après, je m’aperçus qu’il était sourd, et je dis en moi-même : Voilà donc ce que les hommes appellent juger de sang-froid ! Les vieillards et les sages ont tort ; il faut être jeune et ardent pour juger, surtout des plaisirs[1].]
385. [Un homme de sang-froid ressemble à un homme qui a trop dîné, et qui, alors, regarde avec dégoût le repas le plus délicieux ; est-ce la faute des mets, ou celle de son estomac ?]
386. Mes passions et mes pensées meurent, mais pour renaître ; je meurs moi-même sur un lit, toutes les nuits, mais pour reprendre de nouvelles forces et une nouvelle fraicheur. Cette expérience que j’ai de la mort, me rassure contre la décadence et la dissolution du corps : quand je vois que la force active de mon âme rappelle à la vie ses pensées éteintes, je comprends que celui qui a fait mon corps peut, à plus forte raison, lui rendre l’être. Je dis dans mon cœur étonné : Qu’as-tu fait des objets volages qui occupaient tantôt ta pensée ? retournez sur vos propres traces, objets fugitifs. Je parle, et mon âme s’éveille ; ces images mortelles m’entendent, et les figures des choses passées m’obéissent et m’apparaissent. O âme éternelle du monde, ainsi votre voix secourable revendiquera ses ouvrages, et la terre, saisie de crainte, restituera ses larcins !
387. C’est une marque de férocité et de bassesse d’in-
- ↑ Var. : [« Un vieillard, qui est devenu sourd, et qui n’aime plus la musique, croit s’être guéri d’une erreur, et n’estime plus l’harmonie ; voilà ce que les hommes appellent juger de sang-froid. »] — Autre Var. : [« Mépriser la musique, par défaut d’oreille, dédaigner ce qu’on ne voit point, nier ce qui échappe à nos sens, me parait une image assez vive de ce qu’on appelle avoir du sang-froid. »] — Autre Var. : « J’ai connu un vieillard devenu sourd, qui n’estimait plus la musique, parce qu’il en jugeait alors, disait-il, sans passion. Voilà, en effet, ce que les hommes appellent juger de sang-froid. »