Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/508

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peut en blâmer le ministre, non autrement ; à moins qu’il ne choisisse de mauvais généraux, ou qu’il ne traverse les bons.

572. Il faudrait qu’on pût limiter les pouvoirs d’un négociateur sans trop resserrer ses talents, ou du moins, ne pas le gêner dans l’exécution de ses ordres. On le réduit à traiter, non selon son propre génie, mais selon l’esprit du ministre, dont il ne fait que porter les paroles, souvent opposées à ses lumières. Est-il si difficile de trouver des hommes assez fidèles et assez habiles, pour leur confier le secret et la conduite d’une négociation ? ou serait-ce que les ministres veulent être l’âme de tout, et ne partager leur ministère avec personne[1] ? Cette jalousie de l’autorité a été portée si loin par quelques-uns, qu’ils ont prétendu conduire, de leur cabinet, jusqu’aux guerres les plus éloignées, les généraux étant tellement asservis aux ordres de la cour, qu’il leur était presque impossible de profiter de la faveur des occasions, quoiqu’on les rendit responsables des mauvais succès.

573. Nul traité qui ne soit comme un monument de la mauvaise foi des souverains[2].

574. On dissimule quelquefois dans un traité, de part et d’autre, beaucoup d’équivoques qui prouvent que chacun des contractants s’est proposé formellement de le violer, dès qu’il en aurait le pouvoir.

575. La guerre se fait aujourd’hui entre les peuples de l’Europe si humainement, si habilement, et avec si peu de profit, qu’on peut la comparer, sans paradoxe, aux procès des particuliers, où les frais emportent le fonds, et où l’on agit moins par force que par ruse.

576. Quelque service que l’on rende aux hommes, on ne leur fait jamais autant de bien qu’ils croient en mériter.

  1. Il est douteux qu’un ministre se fût long-temps accommodé de ces idées d’indépendance, et que Vauvenargues eût été bien loin dans la carrière des négociation — G.
  2. Rapprochez de la Maxime 412e. — G.