Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/510

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588. [Ce qui constitue ordinairement une âme forte, c’est qu’elle soit dominée par quelque passion altière et courageuse, à laquelle toutes les autres, quoique vives, soient subordonnées ; mais je ne veux pas en conclure que les âmes partagées soient toujours faibles ; on peut seulement présumer qu’elles sont moins constantes que les autres.]

589. [Ce n’est pas toujours par faiblesse que les hommes ne sont ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants ; c’est parce qu’ils ont des vertus mêlées de vices. Leurs passions contraires se croisent, et ils sont entraînés tour à tour par leurs bonnes et par leurs mauvaises qualités. Ceux qui vont le plus loin dans le bien ou dans le mal ne sont ni les plus sages ni les plus fous, mais ceux qui sont poussés par quelque passion dominante qui les empêche de se partager. Plus on a de passions prépondérantes, quoique différentes, moins on est propre à primer, en quelque genre que ce soit.]

590. [Les hommes sont tellement nés pour dépendre, que les lois même, qui gouvernent leur faiblesse, ne leur suffisent pas ; la fortune ne leur a pas donné assez de maîtres ; il faut que la mode y supplée, et qu’elle règle jusqu’à leur chaussure[1].]

591. [Je consentirais à vivre sous un tyran, à condition de ne dépendre que de ses caprices, et d’être affranchi de la tyrannie des modes, des coutumes et des préjugés ; la moindre de nos servitudes est celle des lois.]

592. [La nécessité nous délivre de l’embarras du choix.]

593. [Le dernier triomphe de la nécessité est de faire fléchir l’orgueil ; la vertu est plus aisée à abattre que la vanité. Peut-être aussi que cette vanité, qui résiste au pouvoir de la fortune, est elle-même une vertu[2].]

  1. Var. : [ « Un homme qui n’oserait porter des bas gris, si la mode est d’en porter de blancs, se plaint que le gouvemement ne laisse pas assez de liberté aux hommes. Eh ! les hommes en sont-ils capables, eux qui se fout, sur leur chaussure, des lois auxquelles ils n’auraient garde de désobéir ? »
  2. Rapprochez cette Maxime et la précédente des 248e et 249e. — G.