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INTRODUCTION À LA CONNOISSANCE

féconds, ou pénétrants, ou éloquents, ou justes, dans les mêmes choses : les uns abondent en images, les autres en réflexions, les autres en citations, etc., chacun selon son caractère, ses inclinations, ses habitudes, sa force, ou sa faiblesse.

4. — Vivacité.

La vivacité consiste dans la promptitude des opérations de l’esprit. Elle n’est pas toujours unie à la fécondité : il y a des esprits lents, fertiles ; il y en a de vifs, stériles. La lenteur des premiers vient quelquefois de la faiblesse de leur mémoire, ou de la confusion de leurs idées, ou enfin de quelque défaut dans leurs organes, qui empêche leurs esprits de se répandre avec vitesse[1]. La stérilité des esprits vifs, dont les organes sont bien disposés, vient de ce qu’ils manquent de force pour suivre une idée, ou de ce qu’ils sont sans passions ; car les passions fertilisent l’esprit sur les choses qui leur sont propres, et cela pourrait expliquer de certaines bizarreries : un esprit très-vif dans la conversation, qui s’éteint dans le cabinet ; un génie perçant dans l’intrigue, qui s’appesantit dans les sciences, etc. C’est aussi par cette raison que les personnes enjouées, que tous les objets frivoles intéressent, paraissent les plus vives dans le monde. Les bagatelles qui soutiennent la conversation,

  1. La Rochefoucauld avait dit (44e Max.) : « La force et la faiblesse de l’esprit sont mal nommées ; elles ne sont, en effet, que la bonne ou mauvaise disposition des organes du corps ; » dans la 297e, il en avait conclu que nos actions dépendent en grande partie du cours de nos humeurs ; et les matérialistes avoués du XVIIIe siècle n’iront guère plus loin. Vauvenargues paraît abonder ici dans le même sens ; cependant, il faut remarquer qu’il ne veut pas parler, comme La Rochefoucauld, des organes du corps, mais des organes de l’esprit, puisqu’il cite en preuve la faiblesse de la mémotre, la confusion des idées, et que mémoire et idées appartiennent essentiellement à l’esprit. La ressemblance apparente de la pensée de Vauvenargues avec celle de La Rochefoucauld ne tient qu’à l’impropriété du mot organes que Vauvenargues prend à faux dans le sens de facultés ; de même, il se sert, ici et plus loin, du mot esprits, mot vague, dont on a tant abusé au XVIIIe siècle ; mot mal sonnant dans la bouche d’un philosophe, et qu’il fallait laisser aux médecins et aux physiologistes. Remarquons une fois pour toutes que la langue philosophique n’est pas sûre dans Vauvenargues, et que souvent il ne saisit pas la vraie acception des termes qui la composent. — G.