Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/35

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Il avait, dit-on, des terres près de Nole, et on le fait habiter aussi en Sicile.

Il n’était plus maître d’étouffer et d’anéantir son Énéide quand il l’aurait voulu, et comme il paraît bien qu’en effet, dans une heure de désespoir, il y a sérieusement songé : elle appartenait désormais au monde. Elle devint du premier jour le poëme de prédilection et l’épopée adoptive du nouvel univers. Auguste, qui en assura le destin et qui en procura la publication, ne fit en cela, comme en beaucoup de choses, qu’exécuter les ordres de Rome et devancer les intentions du genre humain : il y trouva sa récompense.

En mourant jeune, ou du moins avant la vieillesse, et dans la douzième année (à compter depuis Actium) d’un règne qui devait durer trente-deux ans encore, et qui eut ses tristesses et ses dernières heures assombries comme tous les longs règnes, Virgile nous en exprime le plus bel éclat et le plein soleil, de même que dans son Églogue à Pollion il en avait salué et préconisé l’aurore. De loin il lui rend, à ce merveilleux régime d’Auguste, et il lui prête certainement autant qu’il en a reçu. Il nous fait croire, par la grave suavité de sa parole, par la pure lumière qui émane de son œuvre et de son génie, à quelque chose de poli, de brillant, de généralement éclairé, à quelque chose d’humain et presque de pieux, qui n’existait sans doute alors que dans une élite très-restreinte de la société, et qui n’y était qu’avec bien des mélanges. Il nous donne le sentiment avancé d’une civilisation qui ne se maintint pas, à beaucoup près, à ce degré dans l’empire romain, et que recouvrirent vite les cruautés et les voluptés grossières : mais, à ces premiers sommets du long règne dont il inaugurait la grandeur, et à l’heure propice où il y dressait son noble phare, les choses de l’avenir apparaissaient ainsi, dans les perspectives de l’espérance. Virgile, avec sa chaîne d’or, liant le passé au présent, donne l’idée de vertus qui n’étaient déjà plus depuis longtemps des vertus romaines. Avec lui on ne prévoit que des Trajans, et nullement les