Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/36

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prochains et menaçants Tibères. La venue même du Christ n’a rien qui étonne quand on a lu Virgile. Son Énée est le saint Louis de l’antiquité. J’ai toujours regretté, oserai-je le dire ? que dans l’admirable page du Discours sur l’Histoire universelle où Bossuet arrive à la naissance du Christ, et où, pour la préparer, il prolonge comme la plus magnifique des avenues le spectacle étonnant de la toute-puissance d’Auguste, il n’y eût pas un simple mot ajouté : «…Rome tend les bras à César, qui demeure, sous le nom d’Auguste et sous le titre d’Empereur, seul maître de tout l’Empire ; il dompte, vers les Pyrénées, les Cantabres et les Asturiens révoltés ; l’Éthiopie lui demande la paix ; les Parthes épouvantés lui renvoient les étendards pris sur Crassus, avec tous les prisonniers romains ; les Indes recherchent son alliance ; ses armes se font sentir aux Rhètes ou Grisons, que leurs montagnes ne peuvent défendre ; la Pannonie le reconnaît, la Germanie le redoute, et le Véser reçoit ses lois. Victorieux par mer et par terre, il ferme le temple de Janus. Tout l’univers vit en paix sous sa puissance, Virgile a chanté, et Jésus-Christ vient au monde. » — Virgile a chanté, c’est là involontairement le mot que j’ajoute tout bas ; car il me semble que l’époque décisive d’Auguste n’a tout son sens moral et ne nous livre tout son magnanime tressaillement que quand on y a entendu Virgile.


III. QU’IL FAUT QUE LE POËTE ÉPIQUE SOIT PLUS OU MOINS DE SON TEMPS DANS SON POËME.


L’apparition de l’Énéide fit une révolution dans le goût et dans les études des Romains. On a entendu dans les paroles de Properce le cri enthousiaste qui s’élevait à la veille même de la publication du poëme, et sur le seul bruit qui en courait : que sera-ce dans les générations romaines qui suivront ? Nous disons aujourd’hui indifféremment Virgile et Horace, Horace et Virgile, en embrassant d’un même