Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/47

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race des chantres divins qu’il a lui-même si souvent introduits et montrés en action dans ses poëmes, et qui ne sont que des Homérides précurseurs, Phémius à Ithaque, Démodocus chez les Phéaciens. Ce sont des vieillards, des aveugles, personnages honorés qui chantent dans les assemblées et les festins, qui savent toutes sortes d’histoires des hommes et des Dieux, mais surtout les grands événements récents qui passionnent la curiosité et qui ébranlent l’imagination des contemporains. Pour les définir, il n’y a rien de plus simple ni de plus agréable que d’emprunter les paroles mêmes d’Homère. Ulysse, chez Alcinoüs, voit entrer Démodocus au milieu du festin ; il lui envoie par la main du héraut une tranche choisie de sanglier, un morceau d’honneur, et dit : « Héraut, prends et remets cette viande à Démodocus, et dis-lui que je le salue, tout affligé que je suis ; car, pour tous les hommes qui peuplent la terre, les chantres ont reçu en partage l’honneur et le respect, parce que la Muse leur a enseigné les harmonieux récits, et qu’elle a chéri la race des chantres. » — « Ô Démodocus ! lui dit-il encore, je te glorifie au-dessus de tous les humains : c’est, ou la Muse, fille de Jupiter, qui t’a enseigné, ou c’est Apollon lui-même ; car tu chantes dans un ordre admirable la calamité des Grecs, ce qu’ils ont fait et ce qu’ils ont souffert, et tous les labeurs qu’ils ont endurés, comme y ayant été en quelque sorte présent toi-même ou l’ayant entendu d’un autre qui y était. » C’est en effet un des caractères de cette première race de poëtes, de chanter plus près de la source et de faire l’illusion, à ceux qui les écoutent, ou d’avoir vu les choses qu’ils célèbrent, ou de les tenir de témoins immédiats : la réalité vit dans leurs chants. — Et Ulysse, poursuivant son discours, demande à Démodocus de lui chanter un épisode déterminé, celui du cheval de bois, de ce stratagème imaginé par lui-même Ulysse, pour la ruine d’Ilion : « Si tu me récites tout cela convenablement, je m’empresserai à mon tour de dire à tous les hommes qu’un Dieu bienveillant t’a donné en partage un chant divin. »