Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/54

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l’Énéide, en use et n’en abuse pas, et ne s’y abandonne jamais ? Quelle sobriété dans les peintures naturelles ! rien que le nécessaire. Tant qu’Énée voyage et raconte ses navigations, on n’a que le profil des rivages, ce qu’il faut pour donner aux horizons la réalité, et la solidité aux fonds des tableaux. Dans cette Sicile que Virgile avait vue et où il avait habité, il ne prend aussi du paysage que l’essentiel, ce qui se rapporte à l’action ; et même alors le moral domine, comme en ce bel endroit où les femmes troyennes, assises toutes ensemble sur la grève déserte, découragées et lassées, regardent en pleurant la grande mer immense. Et dans la peinture du Latium et du royaume pastoral d’Évandre, là où la description sortait de toutes parts, était comme sollicitée par tant de souvenirs, et où les Romains l’auraient certainement acceptée jusque dans son luxe, c’est en deux ou trois vers à jamais mémorables et éternels comme son sujet que Virgile a exprimé le contraste des anciens lieux et des lieux nouveaux, ce Forum, alors un pâturage où les bœufs mugissent, ce Capitole qui sera de marbre et d’or un jour, mais hérissé alors de son bois sauvage. Toujours ami et peintre de la nature, Virgile, dans l’Énéide, l’est chaque fois qu’il le faut, mais il ne l’est jamais que dans les limites de l’action. À la grâce suave et bucolique des impressions de jeunesse a succédé le paysage historique dans sa forte et mûre beauté.

2° En même temps que Virgile aime directement la nature et les paysages, il y joint ce que n’ont pas toujours ceux qui les sentent si vivement, il aime les livres ; il tient de son éducation première une admiration passionnée, des anciens auteurs et des grands poëtes : trait distinctif de ces poëtes cultivés et studieux du second âge. Il a le culte de tout grand homme, de tout grand écrivain qui a précédé, comme l’avait et comme l’a souvent rendu avec tant de ferveur Cicéron. Toutes les peintures, toutes les beautés des poêtes ses devanciers et ses maîtres, qu’il a lus et relus dès l’enfance et qu’il brûle d’atteindre à son tour et d’égaler,