Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/58

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sait savoir les augures comme un Lélius. Virgile en son temps méritait ainsi à sa manière qu’on le louât comme Dante, duquel on disait qu’il était théologien et qu’aucun dogme ne lui échappait.

Ce sont toutes ces études, auxquelles il faut joindre les notions astronomiques, les doctrines philosophiques, pythagoriciennes et autres, qu’il appelait à son aide pour faire de son Énéide un monument complet qui satisfît et représentât les goûts de son époque, et qui rachetât par la diversité et la richesse des accessoires ce qu’il sentait bien y manquer pour une certaine verve et un certain feu continu, réservé peut-être aux seules épopées premières.

4° Virgile a pourtant, comme inspiration générale de son poëme (je l’ai déjà montré), une veine habituelle ardente ou du moins très-fière, et qui revient à tout instant, le patriotisme romain, l’orgueil légitime d’être citoyen de ce peuple-roi, de ce peuple politique et sensé, de qui l’ancien Caton se flattait en son temps d’avoir laissé une si haute idée aux Athéniens, jusqu’à leur faire dire « qu’aux Grecs la parole sortait des lèvres, et aux Romains du cœur et de la pensée. » Virgile savait mieux que personne ce qu’une telle parole avait d’injuste ; mais, tout Grec qu’il était par ses admirations et par sa finesse de talent, il sentait néanmoins et tenait à marquer ce coin solide et sensé qui était, à cette date, la supériorité de la nation romaine.

5° Il tempérait ce que ce patriotisme chez les Romains de vieille roche avait de trop dur et d’exclusif, par un esprit déjà moderne d’humanité universelle. Ce côté du génie de Virgile est présent à tous et lui est particulier entre les poëtes anciens, dont il est à notre égard le plus rapproché par l’esprit et par le cœur. Je sais qu’on trouverait chez les Grecs mêmes, et dans Homère, et dans Ménandre, et en beaucoup d’autres, des traces originales de bien des vers miséricordieux et humains qui nous sont surtout connus et qui ont été mis en circulation par Virgile. En accordant ce qui est dû à l’un, n’allons pas oublier ce