Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/60

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une mère pour lui dire, en lui empruntant une de ses paroles : « Je reconnais en moi les signes de l’ancienne flamme… » Agnosco veteris vestigia flammæ… parole de Didon qui lui sert à exprimer sa pensée pour Béatrix ! — ce n’est qu’alors qu’il s’aperçoit que Virgile a disparu et l’a abandonné. De la flamme d’Élise à l’ardeur pure de Béatrix il y a tout un rapprochement, et comme un moment où l’on dirait qu’elles vont se joindre et se confondre. Saint Augustin, on le sait, a mêlé aussi Virgile à ses Confessions ; on voit qu’il l’avait goûté et aimé, qu’il avait pleuré sur Didon, quoique ce soit plus agréable à citer de loin qu’à lire de près, saint Augustin étant beaucoup moins tendre et moins touchant en cela qu’on ne se plaît à l’imaginer. Mais Dante nous suffit, et l’on a droit de dire : Tout chrétien dans son pèlerinage aime à cheminer avec Virgile le plus longtemps qu’il peut, et ne se détache de lui, si tant est qu’il doive à un moment s’en détacher, qu’à la dernière extrémité et en pleurant.

Bornons ici l’énumération. J’ai parcouru les principaux points qu’assemble sous son astre et qu’anime de son doux rayon cette beauté, cette puissance d’un ordre unique, cette chose parfaite et charmante qu’on appelle le génie virgilien : amour de la nature ; — culte de la poésie, respect déjà classique des maîtres, imitation savante ; — érudition et science d’antiquaire ; — patriotisme ; — humanité, piété, sensibilité et tendresse ; c’est là une première esquisse par laquelle il était juste de commencer. Mais je n’aurais pas dit ce qui est surtout à remarquer et ce qui donne à ce génie de Virgile, comme à un degré un peu moindre, je le crois, à celui de Racine, — comme, dans un autre ordre de productions, au génie de Raphaël, — son principal caractère et sa perfection, si je n’insistais dès à présent sur cette qualité souveraine qui embrasse en elle et unit toutes les autres, et que de nos jours on est trop tenté d’oublier et de méconnaître : je veux parler de l’unité de ton et de couleur, de l’harmonie et de la convenance des parties entre