Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/364

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morts[1] ! — Grand Dieu ! » dit lord Evandale en se promenant à grands pas dans la chambre, troublé lui-même par la surprise et le chagrin, « cet esprit si supérieur est à jamais égaré, et cela par l’effort qu’elle a fait pour consentir à ma proposition, bien

  1. Cet incident est tiré d’une aventure rapportée dans l’Histoire des Apparitions, par Daniel de Foë, sous le nom supposé de Morton, Pour abréger la narration, il nous faut omettre beaucoup de ces détails circonstanciés qui donnent aux fictions de cet ingénieux auteur un air si frappant de vérité.
    « Un gentilhomme épousa une demoiselle riche et bien née ; il en eut un fils. La jeune dame mourut, et il se remaria en secondes noces. Sa nouvelle femme traita si durement l’enfant du premier lit, que, mécontent de son sort, il abandonna la maison paternelle et entreprit de longs voyages. Son père reçut de ses nouvelles de temps à autre ; et le jeune homme, pendant quelques années, fit toucher régulièrement certaines rentes constituées sur sa tête. Enfin, à l’instigation de la belle-mère, une de ses lettres de change ne fut point acquittée, et lui fut renvoyée protestée.
    « Après cet affront, le jeune homme ne tira plus de lettre de change, n’écrivit plus, ne fit point connaître à son père dans quelle partie du monde il était. La belle-mère en profita pour dire que le jeune homme était mort, et presser son mari de faire passer le bien de celui-ci sur la tête de ses propres enfants : il en avait eu plusieurs de cette femme. Longtemps le père refusa de déshériter son fils, convaincu que ce fils vivait toujours.
    « Enfin, cédant aux importunités de sa femme, il promit de faire les arrangements qu’elle souhaitait, si son fils n’était pas de retour dans un an.
    « Durant cet intervalle, il y eut entre la femme et le mari plus d’une violente dispute au sujet des affaires de famille. Au plus fort d’une de ces altercations, la femme fut saisie d’effroi à l’apparition d’une main placée contre l’un des carreaux de la fenêtre. Comme, selon l’ancienne mode, elle était fermée en dedans par des crochets de fer, la main sembla essayer de faire sauter ces crochets ; et, n’y pouvant pas réussir, elle se retira immédiatement. La dame, oubliant son débat avec son mari, s’écria qu’il y avait quelqu’un dans le jardin. Le mari sortit aussitôt, mais il n’aperçut personne, quoique, vu la hauteur des murs du jardin, il était impossible qu’on se fût, échappé. Il prétendit donc que sa femme avait imaginé ce qu’elle croyait avoir vu. Celle-ci soutint qu’elle ne s’était pas trompée : le mari répliqua que c’était peut-être le diable, qui vient quelquefois rendre visite à ceux qui ont une mauvaise conscience. Cette remarque désobligeante ramena la conversation sur le sujet primitif. « Ce n’était pas le diable, dit la femme, mais l’esprit de votre fils, venu pour vous dire qu’il est mort, et que vous pouvez donner votre fortune à vos bâtards, puisque, vous ne voulez point l’assurer à vos enfants légitimes. — C’est mon fils, répliqua le mari ; mon fils revenu pour me dire qu’il est en vie, et vous demander comment vous pouvez être assez méchante pour vouloir le déshériter. » En parlant de la sorte il se leva brusquement, et s’écria : « Alexandre ! Alexandre ! si vous êtes vivant, montrez-vous et ne souffrez pas qu’on m’insulte chaque jour en me soutenant que vous êtes mort ! »
    « À ces mots, la fenêtre où l’on avait vu la main s’ouvrit d’elle-même, et son fils regarda dans la chambre avec un visage bien reconnaissable ; puis, fixant les yeux sur sa belle-mère avec un air irrité, il s’écria : Me voilà ! et il disparut au même instant.
    « La femme, quoique fort épouvantée de cette apparition, eut assez de présence d’esprit pour la faire servir à ses projets ; car, comme le spectre avait paru à la voix de son mari, elle affirma sous serment qu’il avait un esprit familier qui paraissait toutes les fois qu’il l’appelait. Pour échapper à cette accusation flétrissante, le pauvre mari fit une nouvelle disposition de sa fortune, conformément à ce que demandait sa déraisonnable épouse.
    « À cet effet, on réunit les amis de la famille, et le nouvel acte fut dressé. La femme allait annuler le précédent, en en arrachant le sceau, quand tout à coup ils