Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 10, 1838.djvu/89

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ses sentiments religieux. Les autres domestiques tremblaient, mais ils ne savaient pas pourquoi. Cuddie seul, avec le regard de la parfaite indifférence et de l’extrême stupidité dont un paysan écossais peut dans l’occasion prendre le masque par finesse et avec une surprenante subtilité, continuait à avaler de grandes cuillerées de bouillon, ayant tiré devant lui le large vase qui le contenait, et se servait, au milieu de cette confusion, une portion qui aurait pu être divisée entre sept personnes.

« Que désirez-vous ici, messieurs ? » dit Milnwood, s’inclinant devant les satellites du pouvoir. — Nous sommes envoyés par le roi, répondit Bothwell ; mais pourquoi diable nous avez-vous laissés si long-temps à la porte ? — Nous étions à dîner, répondit Milnwood, et la porte était fermée à la clef, ainsi que c’est l’usage dans les habitations de la campagne. Je vous assure, messieurs, que si j’avais su que des serviteurs de notre bon roi attendissent à la porte… Mais vous plairait-il de boire de l’ale, ou de l’eau-de-vie, ou un verre de vin des Canaries, ou du claret ? » et il faisait une pause à chacune de ces offres, comme un avare enchérisseur qui, dans une vente, est chargé de mettre un prix sur un lot désiré. — « Du claret pour moi, » dit l’un des soldats. — « Je préfère l’ale, dit un autre, pourvu qu’elle soit faite du pur jus de John Barleycorn[1]. — Jamais on n’en brassa d’aussi bonne, dit Milnwood ; je puis à peine en dire autant du claret : il est faible et froid, messieurs. — L’eau-de-vie le corrigera, dit un troisième ; un verre d’eau-de-vie, puis trois verres de vin, empêchent les mauvaises digestions. — De l’eau-de-vie, de l’ale et du claret : nous goûterons de tout cela, dit Bothwell, et nous nous attacherons à ce qui sera le meilleur. Voilà un avis raisonnable, quand même il sortirait de la bouche d’un de ces maudits whigs d’Écosse. »

Milnwood tira de sa ceinture à la hâte, quoique avec un tremblement de répugnance visible dans tous ses muscles, deux énormes clefs, et les donna à sa gouvernante.

« La femme de charge, » dit Bothwell en prenant un siège et s’y asseyant, « n’est ni assez jeune ni assez belle pour donner à un homme la tentation de la suivre à la cave, et du diable s’il s’en trouve une ici qui mérite d’être envoyée à sa place ! Qu’est-ce que c’est que cela ? de la viande, ajouta-t-il en cherchant avec

  1. John Barleycorn, dont la traduction littérale est Jean de grain d’orge, est une personnification populaire de la bière anglaise. a. m.