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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/126

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suie, qui, depuis des siècles, s’était amoncelée dans les énormes tuyaux de cheminées, s’en précipitait à larges massues ; des nuages de poussière mêlée de chaux s’échappaient des murailles, et soit que la foudre fût réellement tombée sur la tour, soit que ce fût l’effet de la violente percussion de l’air, plusieurs grosses pierres furent détachées des créneaux à demi rongés par le temps, et furent précipitées dans la mer, qui bouillonnait au pied de la tour. On aurait dit que l’ancien fondateur du château s’était enveloppé de ce nuage épouvantable pour témoigner, au milieu des éclairs et des tonnerres, le mécontentement qu’il éprouvait en voyant un de ses descendants se réconcilier avec l’ennemi de sa maison.

La consternation fut générale, et il fallut tous les soins du lord Keeper et de Ravenswood pour empêcher Lucy de s’évanouir. Le Maître se trouva ainsi chargé, pour la seconde fois, de la plus délicate et de la plus dangereuse de toutes les tâches, celle de prodiguer ses secours à un être intéressant et faible, dont le souvenir, ainsi que nous l’avons vu dans une circonstance analogue, remplissait délicieusement son imagination, soit pendant le jour, soit au milieu des rêves de la nuit. Si le génie de la famille condamnait réellement une union entre le Maître de Ravenswood et la belle personne qu’il recevait chez lui, les moyens qu’il employait pour exprimer ses sentiments étaient aussi maladroitement choisis, que s’ils l’eussent été par un simple mortel. Les petites attentions nombreuses et successives, absolument indispensables pour tranquilliser l’esprit de la jeune dame et calmer son agitation, établirent nécessairement entre son père et Ravenswood des relations qui paraissaient, au moins pour l’instant, devoir briser la barrière que l’inimitié féodale avait élevée entre eux. S’exprimer avec humeur ou même avec froideur en parlant à un vieillard, dont la fille, et quelle fille ! était devant lui, accablée d’une terreur bien naturelle, et sous son propre toit, c’était une chose impossible ; et lorsque Lucy, tendant une main à chacun, fut en état de les remercier de leurs soins, le Maître de Ravenswood s’aperçut que ses sentiments d’hostilité envers le lord Keeper n’étaient nullement ceux qui dominaient dans son cœur.

Le mauvais temps, l’état de sa santé, l’absence de ses domestiques, tout s’opposait à ce que Lucy Ahston se remît en route pour aller au château de lord Littlebrain, éloigné de plus de cinq milles ; et le Maître de Ravenswood ne pouvait, sans manquer aux