Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et ce qu’elle disait annonçait la douceur, la soumission, et un désir d’être agréable qui charma la fierté de Ravenswood, plus que n’aurait pu le faire tout l’éclat de l’esprit. Surtout il ne pouvait s’empêcher de remarquer que, soit par reconnaissance ou par un autre motif, il se trouvait, malgré la solitude et la pénurie de son château, le sujet de l’attention respectueuse de ses hôtes, tout autant que s’il eût été encore entouré de la splendeur qui convenait à sa haute naissance. On ne s’apercevait pas qu’il manquât quelque chose, ou, si l’on ne pouvait dissimuler l’absence de quelque objet utile et agréable, on en profitait pour louer Caleb, qui avait su si bien suppléer au dénûment des commodités ordinaires. Quand on ne pouvait réprimer un sourire, c’en était un de bonne humeur, accompagné d’un compliment adroit qui prouvait combien les convives estimaient leur hôte, et combien ils s’apercevaient peu des inconvénients qui les entouraient. Je ne sais si l’orgueil de sentir que son mérite personnel faisait oublier les désavantages de la fortune ne produisit pas une impression aussi favorable sur l’esprit hautain du Maître de Ravenswood, que la conversation du père et la beauté de Lucy Ashton.

L’heure du repos arriva. Le lord Keeper et sa fille se retirèrent dans leurs appartements, qui étaient mieux ornés qu’on n’aurait pu s’y attendre ; il est vrai que, dans les arrangements nécessaires, Mysie avait reçu l’assistance d’une commère arrivée du village avec l’intention de reconnaître les nouveaux venus. Caleb l’avait arrêtée pour lui donner de l’occupation, de sorte qu’au lieu de retourner chez elle détailler la parure et la personne de la noble demoiselle, elle se vit obligée de donner un coup de main dans les préparatifs qui se faisaient à Wolf’s-Crag.

D’après la coutume du temps, le Maître de Ravenswood, suivi de Caleb, accompagna le seigneur garde des sceaux jusqu’à son appartement ; Caleb, avec l’air cérémonieux qu’on aurait accordé à de belles bougies de cire, plaça sur la table deux chandelles grossièrement faites, et que les paysans seuls employaient dans ce temps-là ; elles étaient enfoncées dans des étuis en fil de fer qui servaient de chandeliers ; puis il disparut, et rentra bientôt portant deux flacons en faïence, et annonçant que la porcelaine avait peu servi depuis la mort de madame. L’un des flacons était rempli de vin des Canaries, et l’autre d’eau-de-vie. Il assura, sans crainte d’être démenti, qu’on irait chercher la preuve que le tonneau d’où provenait le premier était depuis vingt ans dans les