Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/16

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cle, jouant le rôle d’un lion, pendant un hiver, dans la grande métropole. Je ne pourrais me faire à l’idée de me lever, de me retourner, de déployer toutes les belles formes de mon corps, depuis ma longue et épaisse crinière jusqu’à la grosse touffe de ma queue, de rugir « d’une voix de rossignol[1], » et puis de me coucher de nouveau comme une bête bien élevée de spectacle forain, et tout cela pour la modique ration d’une tasse de café et d’une tartine de pain et de beurre aussi mince qu’une oublie. D’ailleurs je m’accommoderais peu de la flatterie fastidieuse que la dame de la soirée prodigue à ses animaux en pareilles occasions, de même qu’elle rassasie ses perroquets de dragées, pour les faire parler devant la compagnie. Je ne puis être tenté de me mettre en scène pour le plaisir de recevoir de pareilles distinctions, et, comme Samson captif, j’aimerais mieux, si telle était l’alternative, rester toute ma vie au moulin, occupé à tourner la meule, uniquement pour ma subsistance, que d’être amené pour servir de jouet aux seigneurs philistins et à leurs dames. Ce n’est pas l’effet d’une antipathie, réelle ou affectée, contre l’aristocratie des royaumes d’Angleterre ; mais chacun à sa place, et, comme le pot de fer et le pot de terre de la fable, nous ne pourrions guère nous heurter l’un contre l’autre sans que j’en fusse la victime. Il peut ne pas en être de même des feuilles que j’écris en ce moment. Mon livre peut être ouvert ou mis de côté, au gré de chacun ; en s’amusant à le parcourir, les grands n’exciteront aucune fausse espérance ; en le dédaignant, ou en le condamnant, ils ne blesseront aucun amour-propre : et combien il est rare qu’ils aient des relations avec ceux qui se sont fatigués pour leur procurer du plaisir sans faire l’un ou l’autre !

Plein d’un sentiment plus sage et plus réfléchi que celui qu’Ovide exprime dans un vers pour le rétracter dans le suivant, je puis dire à mon livre :

Parve, nec invideo, sine me, liber, ibis in urbem[2].

Je ne partage pas le regret de cet illustre exilé de ne pouvoir accompagner lui-même en personne le volume qu’il envoyait à la

  1. Allusion à une expression de Bottom dans le Songe d’une nuit d’été (Midsummer’s nitgt’s Dream) de Shakspeare. Sur l’observation faite à Nottom, qui doit jouer le rôle du lion dans la tragédie de Pyrame et Thisbé, il dit : I grant you, etc… but I will aggravate my voice so, that I will roar you as gently as any sucking dove : I will roar you an ’twere any nightingale ; ce qui signifie : « Je vous l’accorde ; mais je changerai ma voix de manière à rugir aussi agréablement qu’une colombe ; je rugirai comme si c’était un rossignol. » a. m.
  2. Allez, petit volume : je ne vous porte point envie : allez sans moi à Rome. a. m.