Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/182

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courageait sa timidité, et guidait avec soin son palefroi dans le chemin rocailleux qui conduisait au champ couvert de bruyère, quand l’un des serviteurs annonça, de l’arrière-garde, que Caleb appelait à haute voix pour parler à son maître. Ravenswood sentit qu’il serait inconvenant de ne pas répondre à cet appel, quoiqu’il maudît intérieurement Caleb et son zèle intempestif. Il fut donc obligé de céder à Lockhard ses agréables fonctions, et de retourner vers la grille de la tour. Il commençait déjà à demander avec humeur, ce qu’il y avait pour crier ainsi, quand le bon vieillard l’interrompit : « Chut ! monsieur, chut ! et laissez-moi vous dire un mot que je n’ai pu vous dire devant témoins. Tenez, » ajouta-t-il en plaçant dans la main du Maître l’argent qu’il venait de recevoir, « voilà trois pièces d’or ; vous aurez besoin d’argent là-bas. Mais attendez, chut ! un instant ; » car le Maître commençait à se récrier contre ce don. « Silence à ce sujet, et tâchez de les changer à la première ville que vous traverserez, parce qu’elles sont toutes neuves sorties de la monnaie et par suite assez reconnaissables. — Vous oubliez, Caleb, » dit son maître en cherchant à lui faire reprendre l’argent et à retirer la bride de son cheval qu’il avait saisie, « vous oubliez qu’il me reste encore quelques pièces d’or. Gardez les vôtres, mon vieil ami, et encore une fois adieu. Je vous assure que j’en ai assez. Vous savez que, grâce à votre arrangement, notre genre de vie nous cause peu de dépense, pour ne point dire pas du tout. — Eh bien, repartit Caleb, elles vous serviront pour une autre fois… Mais voyons si vous avez assez ; car, sans doute, pour l’honneur de la famille, il faut faire quelque politesse aux domestiques, et il faut avoir quelque chose à montrer, quand on vous dira : Maître, voulez-vous parier une guinée ? Alors il faudra tirer votre bourse et répondre : Je n’y tiens pas ; puis ayez soin de ne pas être d’accord sur le pari, resserrez votre bourse, et… — Ceci est insupportable, Caleb, il faut que je parte. — Et vous voulez donc partir ? » dit Caleb en lâchant le manteau de son maître et en changeant son exhortation en un ton triste et pathétique ; « et vous voulez y aller, malgré tout ce que je vous ai dit, malgré la prophétie de la fiancée morte, et le sable mouvant du Kelpy ! Eh bien ! un obstiné n’en peut faire qu’à sa tête : celui qui veut aller à Cupar, ira à Cupar[1]. Mais ayez pitié de votre vie ; si vous allez chasser dans le parc, gardez-vous de boire à la fontaine de la Si-

  1. Ville du comté de Fife, en Écosse. Ceci est un proverbe écossais. a. m.