Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/196

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Il essaya de lui glisser une pièce d’or dans la main ; mais elle la refusa, et dans le léger débat qui s’ensuivit, la pièce tomba sur le sol.

« Votre or m’est inutile, lui dit-elle ; gardez-le, peut-être en aurez-vous besoin. Mais laissez-la un instant par terre, » ajouta-t-elle, s’apercevant qu’il se baissait pour la ramasser ; « car, croyez-moi, cette pièce d’or est l’emblème de celle que vous aimez. Lucy est précieuse, j’en conviens ; mais il faudra que vous vous abaissiez pour l’obtenir. Quant à moi, je m’inquiète aussi peu des biens que des passions terrestres, et la meilleure nouvelle pour moi sera d’apprendre qu’Edgard de Ravenswood est à cent milles du château de ses ancêtres, et qu’il a pris la ferme résolution de n’y jamais revenir. — Alix, » ajouta Edgard, qui commençait à croire que l’effroi de la vieille aveugle lui était inspiré par quelque motif secret plutôt que par les remarques qu’elle avait pu faire durant cette courte visite, « j’ai toujours entendu ma mère vanter votre bon sens, votre perspicacité et votre fidélité ; vous êtes trop éclairée pour vous effrayer d’une ombre, ou pour redouter de vieilles prédictions, comme Caleb Balderstone. Dites-moi clairement où est le danger, si vous en connaissez un qui m’attende : si je me connais moi-même, je n’ai sur miss Ashton aucune des vues que vous m’imputez. J’ai des affaires essentielles à régler avec sir William ; aussitôt qu’elles seront terminées, je pars ; croyez bien que ce lieu m’offre des souvenirs trop affligeants pour que j’aie plus de désir d’y revenir que vous n’en avez de m’y revoir. »

Alix baissa vers la terre ses yeux éteints, et parut réfléchir profondément. » Je vous dirai la vérité, » reprit-elle enfin en relevant la tête ; « je vous dirai la cause de mes craintes, ma franchise dût-elle produire autant de mal que mon intention est de causer de bien. Lucy Ashton vous aime, lord de Ravenswood. — Cela est impossible ! — Mille circonstances me l’ont prouvé : toutes ses pensées n’ont eu que vous pour objet depuis le jour où vous lui avez sauvé la vie ; ses discours l’ont révélé à mon expérience. Maintenant que je vous l’ai dit, si vous êtes un vrai gentilhomme et le fils de votre père, ce sera pour vous un motif de la fuir : sa passion s’éteindra, comme une lampe, faute d’aliment. Mais si vous restez, sa perte ou la vôtre, celle de tous deux peut-être, sera inévitable. Je vous fais cette révélation malgré moi ; mais un tel amour n’aurait pas échappé long-temps à votre pénétration, et j’aime mieux que vous l’appreniez de moi. Partez, Maître de Ra-