Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/195

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le vieux Balderstone ! Êtes-vous assez peu chrétienne pour désirer que je fasse une guerre opiniâtre à la famille Ashton, selon la coutume barbare des temps anciens ? Si j’ai été la victime d’une iniquité, faut-il que je m’en venge par un crime ? Enfin, me croyez-vous assez faible pour ne pouvoir marcher à côté d’une jeune fille sans en devenir amoureux ? — Mes pensées m’appartiennent, reprit Alix, et si ma vue ne peut voir les objets qui sont devant moi, s’ensuit-il que mon esprit ne puisse pénétrer dans les événements à venir ? Êtes-vous disposé à prendre la dernière place à cette table, qui était jadis celle de votre père, en qualité d’allié et de parent de son fier successeur ? à vivre de ses bontés ? à le suivre dans les sentiers de l’intrigue et de la chicane, que nul ne peut vous enseigner mieux que lui ? à ronger les os des victimes dont il a dévoré la substance ? Pouvez-vous parler comme sir William Ashton ? penser comme il pense ? agir de concert avec lui, et donner à l’assassin de votre père le nom respectable de beau-père, de bienfaiteur révéré ? Ravenswood, je suis la plus ancienne servante de votre maison, et je préférerais vous voir couvert d’un linceul et mis dans la tombe. »

Le cœur de Ravenswood était en proie à une affreuse agitation ; Alix venait d’y faire vibrer une corde qu’il s’était efforcé de briser. Il se promenait d’un pas rapide, en long et en large, dans le petit jardin ; enfin, se contraignant et s’arrêtant tout à coup en face de la vieille aveugle : « Femme, s’écria-t-il, vous êtes sur le bord de la tombe, et vous osez exciter le fils de votre maître à verser le sang, à se livrer à la vengeance ! — À Dieu ne plaise ! » reprit Alix d’un ton solennel ; « et c’est pourquoi je désire vous voir partir de ces lieux funestes, où votre amour, aussi bien que votre haine, ne peut causer que du mal et du déshonneur à vous et à autrui : je voudrais, si cela était au pouvoir de cette main ridée, je voudrais garantir les Ashton contre vous, et vous contre eux, vous prémunir tous contre vos propres passions. Vous n’avez rien, ou vous ne devez rien avoir de commun avec eux. Fuyez-les, et si Dieu veut faire tomber sa vengeance sur la maison de l’oppresseur, n’en devenez pas l’instrument. — Je penserai à ce que vous m’avez dit, Alix, » reprit Ravenswood avec plus de calme. « Je crois que vous m’aimez sincèrement et fidèlement ; mais vous poussez un peu loin la liberté d’une ancienne domestique. Adieu, et si le ciel m’envoie une meilleure fortune, je ne manquerai pas d’améliorer votre sort. »