Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/198

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« Maître de Ravenswood, lui dit-il, il faut que vous donniez le bras à Lucy pour la reconduire au château ; car je ne puis lui donner le mien. Norman m’attend pour faire avec lui une tournée dans la forêt. Je ne voudrais pas pour un jacobus d’or être privé de ce plaisir. Lucy n’ose pas retourner seule à la maison, quoiqu’on ait tué tous les taureaux sauvages ; ainsi il faut que vous vous rendiez tout de suite auprès d’elle. »

Quand une balance est également chargée, une plume suffit pour la faire pencher. « Il m’est impossible de laisser cette jeune personne seule dans le bois, dit Edgard ; la revoir une fois de plus est de peu d’importance après nos entrevues fréquentes : d’ailleurs la politesse exige que je lui apprenne mon prompt départ. »

S’étant ainsi persuadé qu’il faisait non-seulement une démarche prudente, mais même indispensable, il prit le chemin qui conduisait à la fatale fontaine. Henri, dès qu’il le vit entrer dans ce sentier pour aller rejoindre sa sœur, partit comme l’éclair, en suivant une autre direction, afin de jouir de la société du garde forestier. Ravenswood, sans faire une seule réflexion de plus sur sa conduite, avança d’un pas rapide, et bientôt il rejoignit Lucy près des ruines. Elle était assise sur une pierre détachée de l’ancienne fontaine, et semblait contempler les progrès des eaux qui sortaient en bouillonnant de la voûte sombre dont la vénération, ou peut-être le remords, avait ombragé leur source. Aux yeux de la superstition, Lucy Ashton, enveloppée dans son plaid écossais, tandis que ses longs cheveux, s’échappant en partie du snood[1], retombaient sur son cou argenté, aurait paru la naïade de la fontaine. Mais Ravenswood ne vit qu’une femme divinement belle, et qui le lui sembla encore davantage quand il songeait qu’elle lui accordait son amour. En la contemplant, il sentit sa résolution s’évanouir comme la neige aux rayons du soleil ; et, sortant d’un taillis derrière lequel il s’était arrêté un instant, il s’approcha d’elle. Lucy le salua, sans se lever de la pierre sur laquelle elle était assise.

« Mon étourdi de frère m’a quittée, mais je l’attends dans quelques minutes, dit-elle ; car si tout lui plaît, heureusement le charme ne dure pas long-temps. »

Ravenswood n’eut pas le courage de lui apprendre que son frère méditait une longue course et ne reviendrait pas de sitôt.

  1. Ruban qui retient leurs cheveux, et que les jeunes filles en Écosse ne remplacent par un bonnet que le lendemain de leurs noces. a. m.