Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/199

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Il s’assit à quelque distance sur le gazon, et tous deux gardèrent le silence.

« J’aime ce lieu, » dit enfin Lucy, comme si ce silence l’embarrassait ; « le murmure de cette claire fontaine, le balancement des arbres, le luxe de la verdure et des fleurs sauvages qui croissent parmi ces ruines, en font une scène romantique : je crois aussi avoir entendu dire qu’il a rapport à une légende fort intéressante. — On a prétendu, reprit Ravenswood, que c’est un lieu fatal à ma famille, et j’ai quelque raison de le croire, car c’est ici que j’ai vu miss Ashton pour la première fois, et c’est ici que je dois lui dire un éternel adieu. »

La rougeur que le commencement de sa phrase avait fait monter aux joues de Lucy, en disparut subitement.

« Nous dire adieu ! s’écria-t-elle ; qui peut vous presser de partir ? Je sais qu’Alix hait, je veux dire n’aime pas mon père, et je n’ai rien compris à sa mauvaise humeur d’aujourd’hui, non plus qu’à ses paroles mystérieuses. Mais je suis sûre que mon père a une reconnaissance sincère pour le service inappréciable que vous nous avez rendu. Puis-je espérer qu’après avoir gagné votre amitié depuis si peu de temps, nous ne la perdrons pas tout-à-coup ? — La perdre ! miss Ashton. Non ; partout où le sort m’appellera, qu’il me protège ou qu’il me persécute, c’est votre ami, votre ami sincère qui souffrira. Mais une funeste destinée pèse sur moi, et il faut que je parte, si je ne veux ajouter à mes malheurs le malheur d’autrui. — Ne nous quittez pas, monsieur Edgar, » dit Lucy en plaçant sa main sur le manteau du Maître de Ravenswood avec toute la simplicité d’un cœur affectueux, comme si elle eût voulu le retenir ; « je ne veux pas que vous nous quittiez. Mon père est puissant, il a des amis qui le sont encore plus que lui ; ne vous en allez pas avant d’avoir vu ce que sa reconnaissance peut faire pour vous ; je le sais, il travaille déjà en votre faveur auprès du conseil privé. — Cela peut être, » dit-il avec fierté ; « ce n’est cependant point à votre père, miss Ashton, mais à mes efforts que je dois être redevable de mes succès dans la carrière que je vais parcourir. Mes préparatifs sont déjà faits : une épée, un manteau, un cœur intrépide et un bras ferme. »

Lucy couvrit son visage de ses mains, et, malgré elle, des larmes se firent passage entre ses doigts.

« Pardonnez-moi, » dit Ravenswood en prenant sa main droite qu’elle lui abandonna après une légère résistance, tout en con-