Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/234

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taine de la Sirène et à la chaumière d’Alix, et il se rappela la fatale influence qu’une croyance superstitieuse attachait au premier de ces lieux, ainsi que les avis que lui avait inutilement donnés la vieille aveugle.

« Les vieux proverbes disent la vérité, pensa-t-il, et la fontaine de la Sirène a été témoin du dernier acte d’imprudence de l’héritier des Ravenswood. Alix avait raison : je suis dans la situation qu’elles prédite, ou plutôt dans une situation plus déshonorante encore ; me voilà, non l’allié du spoliateur de la maison de mon père, mais un misérable dégradé, qui, ayant désiré cette alliance, a été repoussé avec dédain. »

Nous sommes obligés de raconter cette histoire telle qu’elle est parvenue jusqu’à nous ; et si l’on considère la distance des temps et le penchant des personnes par la bouche desquelles elle a passé, on conviendra que ce ne serait pas une histoire écossaise, si l’on n’y apercevait une teinte des superstitions du pays. On raconte que quand Ravenswood approcha de la fontaine solitaire, son cheval, qui marchait d’un pas ferme, mais lent et tranquille, s’arrêta tout-à-coup, ouvrit les narines, se cabra et, malgré l’éperon, refusa d’avancer, comme si quelque objet de terreur se fût subitement présenté devant lui. En jetant ses regards sur la fontaine, Edgar aperçut la figure d’une femme couverte d’une mante blanche, ou plutôt grisâtre, assise à l’endroit même où Lucy Ashton se tenait au moment où elle avait accueilli sa fatale déclaration d’amour. La première impression que cette vue fit sur son esprit, fut que Lucy, devinant par quel sentier il traverserait le parc, était venue à ce lieu bien connu de rendez-vous pour avoir avec lui une dernière et douloureuse entrevue. D’après cette idée, il sauta à bas de son cheval, qu’il attacha à un arbre, et s’avança précipitamment vers la fontaine, en prononçant vivement, quoiqu’à demi-voix, ces paroles : « Miss Lucy Ashton ! »

La figure se retourna, et présenta à ses yeux étonnés, non les traits de Lucy Ashton, mais ceux de la vieille aveugle Alix. La singularité de son vêtement, qui ressemblait plutôt à un linceul qu’à un habillement de femme ; sa stature, qui lui parut plus élevée que de coutume, et surtout l’étrange circonstance de trouver une femme aveugle, infirme et décrépite, à une telle distance de sa chaumière, eu égard à ses infirmités : tout contribuait à le frapper d’une surprise voisine de la terreur. Elle se leva et étendit vers lui sa main desséchée, comme pour lui faire signe de ne pas ap-