Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/24

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critique que de leur argent, et Dick pensait qu’il avait plus besoin d’argent que de critique. Il alla donc à Londres, le rendez-vous universel des talents, et où, comme il arrive assez ordinairement dans la plupart des grands marchés, il y a beaucoup plus de marchandises exposées en vente qu’il ne se présente d’acheteurs.

Dick, qui passait pour posséder réellement de très-grands talents naturels dans sa profession, et dont le caractère vain et ardent ne lui permettait pas un instant de douter qu’il ne finît par avoir des succès, se jeta impétueusement dans la foule qui courait après la gloire et la fortune. Il coudoya les autres, et fut coudoyé lui-même ; et enfin, à force d’intrépidité et de fatigue, il parvint à se faire connaître, concourut pour le prix à l’institut, mit des tableaux à l’exposition de Sommerset-House[1] et s’irrita contre le comité chargé de les placer convenablement. Mais le pauvre Dick était condamné à perdre le champ de bataille sur lequel il avait montré tant de bravoure. Dans les beaux-arts il n’y a guère d’autre chance que celle d’un succès éclatant ou d’une défaite complète ; et comme le zèle et l’industrie de Dick furent insuffisants pour lui assurer le premier, il se trouva en butte aux malheurs qui, dans sa position, étaient les suites naturelles de l’autre alternative. Il fut pendant quelque temps protégé par une ou deux de ces personnes judicieuses qui se font une gloire de se singulariser, et d’opposer leur goût et leur critique à l’opinion générale ; mais elles se lassèrent bientôt du pauvre Tinto, et semblables à un enfant qui jette au loin le jouet qui l’a amusé, s’en débarrassèrent comme d’un fardeau. La misère vint l’accabler et l’accompagna prématurément jusqu’à la tombe, où il fut transporté, de l’obscur logement qu’il occupait dans Swallowstreet, après avoir été l’objet des tracasseries de son hôtesse et des poursuites des recors. Le Morning-Post[2] lui consacra un court article nécrologique, dans lequel on voulait bien lui accorder du génie, tout en prétendant que son style sentait un peu l’ébauché, et on renvoyait le lecteur à un autre article, qui annonçait que M. Varnish, marchand d’estampes très-connu, avait encore un très petit nombre de dessins et de tableaux de Richard Tinto, écuyer, et qui invitait à les venir voir sans délai, les personnes désireuses de

  1. Un des plus beaux édifices de Londres, où la Société royale tient ses séances. a. m.
  2. Un des six ou sept journaux du matin qui paraissent tous les jours à Londres. Il s’en publie autant le soir. a. m.