Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/25

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compléter leurs collections. Ainsi finit Dick Tinto ; preuve déplorable de cette grande vérité, que, dans les beaux-arts, la médiocrité n’est point permise, et que celui qui ne peut monter au haut de l’échelle, fera bien de ne pas même y placer le pied.

La mémoire de Tinto m’est chère, à cause du souvenir de tant de conversations que nous avons eues ensemble, la plupart au sujet de ma tâche actuelle. Il était charmé des succès que j’obtenais dans ma carrière, et parlait d’une édition faite avec soin et embellie, par son amitié et son patriotisme, de portraits, vignettes et culs-de-lampe. Il réussit à décider un vieux sergent d’invalides à lui servir de modèle pour Bothwell, le garde-du-corps de Charles II, et le sonneur de cloches de Gandercleugh pour David Deans. Mais en même temps qu’il se proposait de joindre ses talents aux miens pour publier ces contes, il mêlait une dose de critique salutaire à l’éloge que j’avais parfois le bonheur d’entendre faire de mon travail.

« Vos personnages, mon cher Pattieson, » me dit-il un jour, « font un trop fréquent usage de la langue ; ils jacassent trop (expression élégante que Dick avait apprise d’une troupe de comédiens ambulants dont il avait peint les décorations). Il y a des pages entières qui ne sont que pur caquetage en dialogue. — Un ancien philosophe, » lui répliquai-je, « avait coutume de dire : « Parle, pour que je puisse te connaître ; » de même un auteur peut-il mieux peindre ses personnages qu’en leur prêtant des discours appropriés à leur caractère ? — Ce raisonnement, » dit Tinto, « est pour moi aussi faux que la vue d’une pinte vide m’est désagréable. Je veux bien admettre avec vous que la parole est une faculté très précieuse dans les divers rapports auxquels donnent lieu les affaires humaines, et je n’invoquerai pas même la doctrine de ce buveur pythagoricien, qui était d’avis qu’en présence de la bouteille, la conversation nuit à la consommation ; mais je n’admets point qu’un professeur des beaux-arts ait besoin de donner, au moyen du langage, un corps à l’idée qu’offre à l’œil et à l’esprit la scène qu’il a représentée, afin de convaincre son lecteur de la réalité de l’action, et de produire l’effet qui doit en être le résultat. Au contraire, j’en appellerai à la majeure partie de vos lecteurs, mon cher Pierre, si jamais ces contes viennent à être publiés ; ils diront, j’en suis certain, que vous avez délayé dans une page de dialogue ce que deux mots auraient suffi pour faire connaître ; qu’une peinture exacte des situations,