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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/268

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éteint de lui-même avant d’avoir atteint les caves : ce furent les seuls renseignements que Ravenswood jugea à propos de donner en public, au sujet du stratagème de son sommelier.

On se mit à table devant un souper excellent. Aucune invitation ne put engager M. et mistress Girder à s’y asseoir avec des hôtes d’un rang aussi distingué. Ils restèrent debout dans l’appartement, comme des serviteurs respectueux et attentifs aux désirs de la compagnie. Telles étaient les mœurs du temps. La vieille dame, s’étayant de son âge et de ses rapports avec la famille des Ravenswood, fut moins scrupuleusement cérémonieuse. Elle joua un rôle qui tenait le milieu entre l’hôtesse d’une auberge et la maîtresse d’une maison particulière recevant des personnes d’une condition plus élevée que la sienne. Elle recommandait et même pressait d’accepter les morceaux qu’elle croyait meilleurs ; elle-même céda facilement aux instances qu’on lui fit de prendre place à table, afin d’encourager ses hôtes par son propre exemple. Elle s’interrompait souvent pour exprimer ses regrets de ce que milord ne mangeait point, de ce que le Maître de Ravenswood rongeait un os sur lequel il ne restait rien ! Assurément il n’y avait rien là qui fut digne d’être offert à Leurs Seigneuries. Lord Allan, puisse son âme être en paix ! aimait beaucoup une oie salée, et disait que ces mots signifiaient en latin une tasse d’eau-de-vie ; or, en voici qui vient directement de France ; car malgré toutes les lois et tous les jaugeurs anglais, les bricks de Wolf’s-Hope n’ont pas oublié le chemin de Dunkerque. »

Ici, le tonnelier poussa du coude sa belle-mère, qui coupa court à sa harangue et lui dit d’un air mécontent :

« Vous n’avez pas besoin de me pousser ainsi, John : personne ne dit que vous sachiez d’où vient l’eau-de-vie, et il ne conviendrait pas que vous en fussiez instruit, vous qui êtes le tonnelier de la reine. Eh ! qu’importe à roi, reine ou empereur, » ajouta-t-elle en regardant lord Ravenswood, « en quel endroit une vieille femme comme moi achète son tabac ou l’eau-de-vie qui ranime un peu son cœur ? »

S’étant ainsi tirée de ce qu’elle pensait être un mauvais pas, la dame Loup-the-Dicke continua, pendant le reste de la soirée, à soutenir la conversation avec une grande volubilité et presque sans le secours de ses convives, jusqu’au moment où, las de faire circuler la bouteille, Edgar et le marquis demandèrent la permission de se retirer dans leur appartement.