Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/43

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Ne goûte point le nectar pétillant ;
Reste muet lorsque le peuple entend ;
Ferme l’oreille à la voix qui résonne ;
Ne touche pas à l’or qui brille et sonne ;
Œil, cœur et main, que tout soit vide : alors
Gai tu vivras, et mourras sans remords. »

La musique cessa, et le lord garde des sceaux entra dans l’appartement de sa fille.

Les paroles qu’elle avait choisies semblaient particulièrement adaptées à son caractère ; car les traits de Lucy Ashton, beaux, mais enfantins, exprimaient la paix et la sérénité de l’âme, et l’éloignement des vains plaisirs du monde. Ses cheveux, d’une couleur d’or rembrunie, se divisaient sur un front d’une blancheur éclatante, comme un rayon pâle et affaibli du soleil sur une colline couverte de neige. Sa physionomie, empreinte de la bonté, de la douceur, de la timidité, de toute l’amabilité de la femme, semblait plutôt se dérober au moindre regard même accidentel d’un étranger, que rechercher son admiration. Elle avait quelque rapport avec les madones de Raphaël : peut-être était-ce le résultat d’une santé délicate et de sa résidence au milieu d’une famille composée de personnes ayant un caractère plus altier, plus actif et plus ferme que le sien.

Cependant ce naturel passif ne provenait nullement d’une âme indifférente ou insensible. Abandonnée à l’impulsion de ses goûts et de ses sentiments, Lucy Ashton était particulièrement susceptible de se laisser affecter par tout ce qui tenait un peu du romanesque. Elle avait un secret plaisir à lire ces vieilles légendes remplies d’ardents dévouements, d’affections inaltérables, entremêlées, comme elles le sont si souvent, d’aventures étranges et d’horreurs effrayantes. C’était là son royaume favori de féerie ; c’était là qu’elle bâtissait ses palais aériens ; mais elle ne se livrait qu’en secret à ces douces illusions ; dans la retraite de son appartement, ou dans le silence du bosquet qu’elle avait choisi pour elle-même et auquel elle avait donné son nom, son imagination distribuait les prix des tournois, animait de ses regards les valeureux combattants ; ou bien elle errait dans le désert avec Una, ou s’identifiait avec la simple mais noble Miranda, dans l’île des merveilles et des enchantements.

Mais, dans ses rapports extérieurs avec les choses de ce monde, Lucy cédait facilement à l’impulsion des personnes qui l’entouraient. L’alternative lui était en général trop indifférente pour