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Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 11, 1838.djvu/44

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qu’elle se sentît le moindre désir de résister, et elle aimait à trouver dans l’opinion de ses parents un motif de décision qu’elle aurait peut-être cherché en vain dans sa propre conviction. Chacun de mes lecteurs peut avoir remarqué dans une famille de sa connaissance quelque individu d’un naturel doux et facile, qui, se trouvant parmi d’autres individus d’un caractère plus ferme et plus ardent, se laisse entraîner par la volonté des autres, sans être plus capable de résister que ne l’est la fleur que l’on vient de jeter au courant d’un fleuve. Il arrive ordinairement que ce caractère docile et complaisant qui, sans le moindre murmure, se laisse guider par les autres, devient l’objet favori de ceux aux désirs desquels il sacrifie les siens sans effort et sans regret.

Telle était absolument la position de Lucy Ashton. Son père, malgré sa politique, sa circonspection et ses vues mondaines, sentait pour elle une affection qui lui faisait quelquefois éprouver, comme par surprise, une émotion peu commune. Son frère aîné, qui suivait la carrière de l’ambition avec des dispositions encore plus altières que celles de son père, avait aussi des sentiments plus tendres. Quoique militaire, quoique vivant dans un siècle dépravé, il préférait sa sœur Lucy, même aux plaisirs, aux espérances d’avancement, aux distinctions. Son plus jeune frère dans un âge où son esprit n’était encore occupé que de bagatelles, la prenait pour confidente de toutes ses joies, de toutes ses inquiétudes, de ses succès à la chasse, à la pêche, et autres divertissements de la campagne, et de ses querelles avec son précepteur et ses maîtres. Lucy écoutait avec une aimable complaisance tous ces détails, quelque insignifiants qu’ils fussent. Ils agitaient, ils intéressaient Henri, c’en était assez pour qu’elle lui donnât cette preuve d’amitié.

Sa mère seule n’avait point pour Lucy cette même prédilection marquée que ressentait le reste de la famille. Elle regardait ce qu’elle appelait un manque d’énergie dans le caractère de sa fille, comme une preuve que le sang plus plébéien de son père dominait dans les veines de sa fille, et avait coutume de la nommer, par dérision, sa Bergère de Lammermoor. Avoir de l’éloignement pour un être aussi innocent et aussi doux, c’était une chose impossible ; mais Lady Ashton préférait son fils aîné, qui avait hérité en grande partie de son caractère ambitieux et intrépide, à une fille chez laquelle la douceur naturelle semblait être alliée à la faiblesse d’esprit. Sa préférence pour lui était d’autant plus