Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 12, 1838.djvu/280

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— Porte tes prières au ciel, répondit le féroce Normand, car pour nous, qui sommes sur la terre, nous n’avons pas le temps de les entendre… Holà ! Anselme ! fais-nous préparer de la poix et de l’huile bouillantes pour en arroser la tête de ces audacieux proscrits. Il faut aussi que les arbalétriers soient bien pourvus de carreaux[1]. Que l’on arbore ma bannière à tête de taureau ! Ces misérables verront bientôt à qui ils auront affaire aujourd’hui.

— Mais, noble seigneur, » reprit le moine s’efforçant d’attirer son attention, « considère mon vœu d’obéissance, et permets-moi de m’acquitter du message de mon supérieur.

— Qu’on me débarrasse de cet ennuyeux radoteur, dit Front-de-Bœuf ; qu’on l’enferme dans la chapelle, pour y dire son chapelet jusqu’à la fin de cette échauffourée. Ce sera une nouveauté pour les saints de Torquilstone que d’entendre des Pater et des Ave. Je ne crois pas qu’ils aient eu cet honneur depuis leur sortie de l’atelier du sculpteur.

— Ne blasphème point les saints, sire Reginald, dit de Bracy ; nous aurons besoin de leur assistance aujourd’hui, avant que nous ayons forcé cette troupe de brigands à battre en retraite.

— Je n’en attends pas grand secours, répondit Front-de-Bœuf, à moins que nous ne les précipitions du haut des murailles sur la tête de ces coquins. Il y a là-bas un énorme saint Christophe, qui ne sert à rien, et qui suffirait à lui seul pour renverser tout une compagnie. »

Pendant ce temps-là, le templier avait observé les travaux des assiégeants avec un peu plus d’attention que le brutal Front-de-Bœuf et son étourdi compagnon.

« Par le saint ordre du Temple ! dit-il, ces gens-ci poussent les approches avec une plus grande connaissance de la tactique militaire que je ne m’y serais attendu. Voyez avec quelle adresse ils profitent du plus petit arbre, du plus mince buisson, pour se mettre à l’abri des traits de nos arbalétriers. Je n’aperçois chez eux ni bannière ni étendard, et néanmoins je gagerais ma chaîne d’or qu’ils sont commandés par quelque noble chevalier, par quelque homme exercé au métier de la guerre.

— Cela est certain, dit de Bracy : je vois flotter le panache et briller l’armure d’un chevalier. Voyez là-bas cet homme d’une

  1. Le carreau était le trait particulier à l’arbalète, comme la flèche était celui que l’on décochait avec l’arc. a. m.