Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

longs bancs de gravier qui déparent les bords de plusieurs célèbres rivières de l’Écosse.

Le moine, insensible à des beautés que les écrivains du siècle ne jugeaient pas dignes d’être décrites, fut néanmoins, en prudent général, charmé de se trouver hors d’un lieu dangereux où l’ennemi aurait pu se glisser sans être aperçu. Il retint la bride de sa mule et lui fit prendre un amble voluptueux, au lieu du trot rude et agité qu’elle avait pris jusqu’alors, au grand déplaisir du cavalier. Puis, s’essuyant le front, il contempla à loisir le large disque de la lune qui, mêlant sa clarté au dernières lueurs du crépuscule, s’élevait au-dessus du champ et de la forêt, du village et de la forteresse, et enfin au-dessus de l’imposant monastère qu’on voyait au loin obscur au milieu de la lumière dorée. D’après l’opinion du moine, le défaut de ce tableau magnifique, c’était que le monastère se trouvait sur la rive opposée ; car à cette époque il n’existait pas encore un seul de tous les beaux ponts qui existent maintenant sur ce fleuve classique. En revanche il y en avait alors un qui a disparu, mais dont les curieux peuvent retrouver les ruines.

Ce pont était d’une forme tout à fait particulière. Deux fortes culées avaient été construites sur les deux rives du fleuve, dans un endroit où le lit était extrêmement resserré. Sur un rocher, au milieu du courant, on avait bâti une masse solide en maçonnerie, qui avait la forme d’une pile et présentait même un angle au courant du fleuve. La maçonnerie toujours massive, s’élevait jusqu’au niveau des deux culées ; à partir de là, le bâtiment s’exhaussait en forme de tour. La partie inférieure de cette tour n’était autre chose qu’une arcade ou passage à travers le bâtiment. De chaque côté, en face de l’entrée, un pont-levis était suspendu, muni de ses contrepoids ; et lorsqu’il était baissé, il réunissait l’arcade avec la culée opposée, sur laquelle reposait l’extrémité du tablier. Lorsque les deux ponts étaient ainsi baissés, le passage du fleuve était complètement libre.

Le gardien du pont, qui était sous la dépendance d’un baron, du voisinage, habitait avec sa famille les deux étages de la tour, qui, lorsque les deux ponts-levis étaient levés, formaient une petite forteresse isolée au milieu du fleuve. Il avait droit de recevoir une légère rétribution pour le passage ; mais comme le taux, n’en était pas réglé, cela occasionait des disputes fréquentes entre lui et les passagers. Il est inutile de dire que le gardien avait