« Maintenant que ce rustre est parti, père Philippe, dit Eustache, veux-tu dire à notre vénérable supérieur quel est ton mal ? Es-tu vino gravatus[1] ? dis-nous si cela est, nous allons te faire conduire à ta cellule ?
— C’est de l’eau, de l’eau, et non pas du vin ! marmotta le sacristain.
— Oh ! dit le moine, si c’est là ta maladie, il est possible que le vin te guérisse. » Et il lui en présenta une coupe, que le malade avala, au grand réconfort de son estomac.
« À présent, dit l’abbé, qu’on change ses vêtements, ou plutôt qu’on le transporte à l’infirmerie ; car ce serait une chose préjudiciable à notre santé, que d’écouter son récit pendant qu’il se tient là comme dans les vapeurs d’une gelée blanche.
— Je vais écouter moi-même le récit de ses aventures, dit Eustacbe, et j’en ferai le rapport à Votre Révérence. » À ces mots, il sortit et accompagna le sacristain jusqu’à sa cellule. Au bout d’une demi-heure il revint trouver l’abbé.
« Eh bien ? comment va le père Philippe ? demanda celui-ci ; et par quelle aventure se trouve-t-il dans un pareil état ?
— Il vient de Glendearg, mon révérend père, dit Eustache ; et quant au reste, il raconte une légende telle que rien de semblable n’a été entendu dans ce monastère depuis long-temps. » Alors il donna à l’abbé un aperçu des aventures du sacristain dans son retour ; il ajouta qu’à de certains moments on aurait pu croire que le sacristain avait perdu la raison, en le voyant à la fois chanter, rire et pleurer.
— Il nous paraît bien étonnant, dit l’abbé, qu’il ait été permis à Satan d’étendre sa main sur un frère de notre saint ordre.
— Cela est vrai ; mais pour chaque texte il y a une glose, et je suis très porté à soupçonner que si le plongeon du père Philippe est l’ouvrage du malin, ce n’a pas été tout à fait sans quelque faute de sa part.
— Comment ? dit le père abbé ; je ne puis croire que vous mettiez en doute que dans les anciens jours Satan ait eu la permission d’affliger les personnages saints et pieux, témoin le saint homme Job.
— À Dieu ne plaise que j’aie à cet égard le moindre doute, » dit le moine en faisant un signe de croix ; « mais lorsque je crois
- ↑ Pris de vin. a. m.