Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et si l’on passait l’heure, ne fut-ce que de dix minutes, notre frère cuisinier dit que le quartier de venaison en souffrirait malgré l’adresse du petit tourne-broche qu’il a recommandé à Votre Sainteté.

— Comment, dit l’abbé, un quartier de venaison ! d’où vient ce succulent morceau ? je ne me rappelle pas que tu m’aies annoncé sa présence dans ton panier de provisions.

— Avec la permission de Votre Seigneurie, dit le sommelier, c’est un des fils de la maîtresse de la maison qui vient de tuer le gibier à l’instant. Comme la chaleur animale n’a pas eu le temps de quitter le corps de la bête, le cuisinier assure qu’il sera aussi tendre qu’un poulet. Ce jeune homme a reçu un don spécial pour tuer les daims ; et jamais il ne manque de les frapper ou à la tête ou au cœur ; de manière que le sang ne se répand pas au travers des chairs, ainsi qu’il nous arrive trop souvent. C’est un cerf en pleine graisse : Votre Sainteté a mangé rarement une telle venaison.

— Silence, frère Hilaire, » dit l’abbé en s’essuyant la bouche ; « il n’est pas convenable à notre ordre de parler de nourriture avec autant de chaleur, car nous devons souvent avoir nos forces corporelles épuisées par le jeûne, et par conséquent être accessibles, comme de faibles mortels, à des désirs (il essuya encore sa bouche), qui naissent inévitablement lorsqu’on parle d’aliments à un homme qui a faim. Cependant prenez par écrit le nom de ce jeune homme ; il est convenable de récompenser le mérite, et il sera désormais un frater ad succurrendum[1] dans la cuisine ou dans l’office.

— Hélas ! révérend père et mon bon seigneur, répliqua le sommelier, j’ai demandé quel était ce jeune homme, et j’ai appris qu’il est un de ceux qui préfèrent le casque au capuchon et l’épée des passions à l’arme de l’esprit.

— Si c’est ainsi, dit l’abbé, tâche de l’engager en qualité d’homme d’armes, et non en qualité de frère lai ; car le vieux Tallboy, notre garde-forêt, commence à avoir la vue trouble. Il a deux fois blessé un daim magnifique, et l’a frappé sans précaution sur la hanche. Ah ! c’est une grande faute d’offenser en tuant mal, en préparant mal, en ayant un mauvais appétit, ou tout autrement, de bonnes créatures tolérées pour notre usage. C’est pourquoi, assure-nous le service de ce jeune homme, frère Hilaire, de la manière

  1. Un frère auxiliaire. a. m.