Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/221

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Il pourrait en arriver pis encore, dit le sous-prieur ; dans ces jours de malheur, le patrimoine de l’Église peut être vendu et acheté, confisqué et saisi comme si c’était une terre non consacrée, appartenant à un baron séculier. Songez à quelle peine nous serions exposés si l’on prouvait que nous avons reçu un rebelle envers la reine d’Angleterre ! Il ne manquerait pas de parasites écossais qui demanderaient les terres de notre couvent, ni d’Anglais pour brûler et piller l’abbaye. Les hommes de l’Écosse jadis étaient des Écossais, unis entre eux, fermement dévoués à leur patrie, et abandonnant tout pour voler à sa défense lorsque les frontières étaient menacées : maintenant ce sont… comment les nommerai-je ? Quelques uns sont Français, d’autres Anglais, et ils ne regardent leur pays natal que comme un théâtre de combat où les étrangers viennent terminer comme ils l’entendent les querelles nationales.

Benedicite ! répliqua l’abbé ; ce sont des temps bien mauvais et bien dangereux.

— Et c’est pourquoi, dit le père Eustache, nous devons marcher avec prudence ; nous ne devons pas, par exemple, conduire sir Piercy Shafton dans notre maison de Sainte-Marie.

— Mais comment donc nous arrangerons-nous pour ce qui le regarde ? reprit l’abbé ; vous savez qu’il est victime de son amour pour la sainte Église ; que son protecteur, le comte de Northumberland, a été notre ami, et que, demeurant si près de nous, il peut nous être propice ou funeste, selon notre manière d’agir avec son parent.

— Et précisément pour cette raison, dit le sous-prieur, aussi bien que pour satisfaire au grand devoir de la charité chrétienne, je protégerai et soulagerai cet homme. Qu’il ne retourne pas chez Julien Avenel : ce baron sans honneur ne pourrait s’abstenir de piller un étranger exilé ; qu’il demeure ici : le lieu est écarté, et si la position est inférieure à ce qui convient à son rang, il en sera plus difficile à découvrir. Nous ferons tout ce que nous pourrons pour qu’il soit plus convenablement.

— Penses-tu, dit l’abbé, qu’il acceptera mon lit de voyage, et qu’il permettra que je lui envoie un grand fauteuil bien commode ?

— Sans doute, dit le sous-prieur, avec de telles aises il ne pourra se plaindre ; s’il était menacé d’un danger soudain, il pourrait bientôt se rendre au sanctuaire, où nous le tiendrions caché jusqu’à ce que nous pussions le renvoyer en sûreté.