Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/262

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peut être. Mais, dis-moi, mon cher Édouard, ne vois-tu pas une autre personne que moi sur le carreau de cette chambre ?

« Non, personne, » répondit Édouard se soulevant sur son coude ; « mon cher frère, quitte ton épée, dis tes prières, et viens te coucher. »

Tandis qu’il parlait ainsi, l’esprit fit un sourire dédaigneux à Halbert ; ses joues pâles s’évanouirent dans le clair de la lune, avant même que le sourire eût cessé, et Halbert lui-même ne vit plus la vision à laquelle il avait tant prié son frère de porter attention. « Que Dieu me conserve la raison ! » dit-il en quittant son épée et se jetant une seconde fois sur son lit.

« Amen ! mon très-cher frère, répondit Édouard : mais nous ne devons pas provoquer dans notre folie le ciel que nous invoquons dans nos peines. Ne soyez pas fâché contre moi, mon cher frère, je ne sais pourquoi depuis quelque temps vous m’évitez : il est vrai que je n’ai ni le corps d’un athlète, ni le courage que vous avez montré dès votre enfance ; cependant il n’y a que peu de temps que vous fuyez ma société. Croyez-moi, j’en ai versé des larmes en secret, quoique je n’aie pas voulu interrompre votre solitude. Il fut un temps où je ne vous étais pas si indifférent, et alors, si je ne pouvais suivre aussi bien le gibier ou le frapper avec autant d’adresse que vous, je pouvais remplir les intervalles de ce passe-temps par d’agréables histoires des anciens temps que j’avais lues ou entendu conter, et qui semblaient vous distraire lorsque nous étions assis pour manger nos provisions près d’une claire fontaine. Mais à présent, mon frère, quoique j’en ignore la cause, j’ai perdu ton estime et ton amitié… N’agite donc pas ainsi tes bras, Halbert ; je crains qu’un accès de fièvre occasioné par des songes étranges n’ait embrasé ton sang ; laisse-moi te couvrir de ton manteau.

— Tes soins, dit Halbert, sont inutiles et tes craintes sans raison ; tu as tort de te mettre en peine sur mon compte.

— Mais écoute-moi, mon frère, reprit Édouard ; ce que tu dis pendant le sommeil, et maintenant même ce que tu viens de faire en rêvant, se rapporte à des êtres qui n’appartiennent pas à ce monde ni à notre race. Notre bon père Eustache assure que, bien que nous ayons tort de croire tous les contes frivoles des esprits et des spectres, les saintes Écritures nous autorisent à penser que de malins esprits hantent les lieux déserts et écartés, et que ceux qui chérissent de telles solitudes deviennent la proie et ou le jouet