Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/31

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— Je ne le pense pas, car il s’est occupé du souper de son cheval avant de songer au sien.

— A-t-il un domestique ?

— Pas de suite, mais un air de grandeur qui fait que tous ceux qui le regardent se trouvent disposés à le servir.

— Mais qu’est-ce qui peut l’engager à me déranger ? Ah ! David, voilà ce que c’est que de jaser. Vous êtes toujours à me jeter sur les épaules tous les voyageurs qui descendent à l’hôtel du Roi George, comme si j’étais chargé de les amuser !

— Que diable voulez-vous que je fasse ? capitaine, répondit David. Un monsieur descend chez moi, et me demande instamment s’il y a dans notre ville un homme de bon sens, instruit, qui puisse lui donner des renseignements sur les antiquités des environs, et particulièrement sur la vieille abbaye. Vous n’auriez pas voulu que j’eusse fait un mensonge ; et vous savez fort bien qu’il n’y a personne en ville qui puisse en parler convenablement, excepté vous-même et le bedeau, qui est en ce moment ivre comme un joueur de cornemuse. Si bien que je lui ai dit : Nous avons ici le capitaine Clutterbuck, homme très-honnête, qui n’a guère autre chose à faire qu’à parler des ruines de la vieille abbaye, et qui demeure tout près d’ici. « Alors, monsieur, » m’a-t-il dit très poliment, « ayez la bonté d’aller trouver le capitaine Clutterbuck, de lui offrir mes compliments et de lui dire que je suis un étranger, attiré dans ces lieux par la renommée de ces ruines : je me serais présenté chez lui s’il n’eût été si tard. » Il en a bien dit davantage, mais je l’ai oublié. Cependant je me souviens à merveille qu’il a terminé par cette recommandation : « Ayez une bouteille de votre meilleur vin de sherry et préparez à souper pour deux personnes. » Vous ne voudriez surement pas que j’eusse refusé, moi aubergiste ?

— C’est fort bien, David, mais j’aurais désiré qu’il eût choisi une heure plus convenable. Enfin, puisque vous déclarez que c’est un gentleman…

— Oh ! pour cela, j’en réponds, l’ordre qu’il a donné le fait assez connaître. Une bouteille de sherry, un émincé de veau et un poulet, voilà parler comme un gentleman, j’espère. C’est bien, capitaine ; boutonnez-vous avec soin ; la nuit est fraîche. La rivière s’éclaircit cependant ; nous serons à la pêche demain avec les bateaux de monseigneur, et il faudra que j’aie bien du guignon si je ne vous envoie pas quelque chose qui vous fasse trouver votre ale meilleure à souper. »