Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/325

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attendu qu’elle n’est pas essentielle dans cette affaire ; pour ce qui est de la seconde, je vous proteste que je sais aussi peu que vous d’où lui vient cette connaissance, et que je suis très-près de croire qu’il a des rapports avec Satan. C’est ce dont nous pourrons reparler tout à l’heure. Or donc, révérend père, dans la soirée, je ne manquai pas de voiler mon dessein par un air tranquille, ainsi qu’il est d’usage parmi nous autres guerriers, qui ne laissons pas flotter sur notre physionomie les couleurs de la défiance, avant que notre main soit armée pour le combat. J’amusai la belle Discrétion par quelques canzonnette et autres bagatelles, qui ne pouvaient que ravir ses oreilles inexpérimentées. Je me levai le lendemain et je rencontrai mon antagoniste, qui, à dire vrai, s’est conduit aussi bravement que je pouvais le désirer de la part d’un villagio peu exercé. Quand nous en fûmes au combat, mon révérend père, je fis l’épreuve de son acier, en lui portant une demi-douzaine de bottes bien appliquées, dont la moindre aurait pu lui percer le corps ; mais je ne pouvais me décider à user d’un avantage aussi fatal, et ma juste indignation cédant à mon indulgence, je cherchais seulement à lui faire quelque blessure légère. Toutefois, mon révérend père, tandis que je m’abandonnais à ma clémence, il était, je crois, inspiré par le diable, et il me fit une nouvelle injure du même genre que la première. Alors, dans mon empressement à le punir, je lui portai un estramazone[1], et mon pied glissa au même moment, non par un défaut d’escrime de mon côté, ni par une supériorité d’adresse du sien, mais parce que le diable s’en mêlait, comme je vous l’ai dit, et que le gazon était glissant. Avant que je pusse reprendre ma position, je rencontrai son épée, qu’il avait avancée sur ma personne sans défense, et il me sembla que j’étais percé d’outre en outre. Alors le jeune homme, épouvanté de son succès peu mérité, prit la fuite et me laissa sans connaissance, par suite de la perte de sang. Quand je revins à moi, comme si je m’éveillais d’un profond sommeil, je me trouvai enveloppé dans mon manteau et couché au pied d’un des bouleaux qui sont groupés ici près. J’examine mes membres, et je ne ressens pas de douleur, mais beaucoup de faiblesse. Je porte ma main sur ma blessure, elle est guérie et fermée, ainsi que vous le voyez ; je me lève, je viens ici, voilà l’histoire de toute ma journée.

— Je répondrai à un récit aussi étrange, dit le moine, qu’il est à peine possible que sir Piercy Shafton puisse croire que j’y ajou-

  1. Sorte de coup d’épée. a. m.