Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/442

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les frères l’attendissent dans le chœur, habillés comme pour une procession solennelle, l’abbé monta sur les hautes tours du monastère par son escalier privé. Il y trouva le sacristain, qui s’acquittait de son devoir en faisant sonner la grosse cloche.

« C’est la dernière fois que je remplirai ma charge, vénérable père et seigneur, dit-il à l’abbé, car je vois là-bas les Philistins ; ils approchent ; mais je ne voudrais pas que la grosse cloche de Sainte-Marie sonnât pour la dernière fois autrement que dans un ton plein et juste. J’ai été un membre indigne de notre sainte profession. » Puis il ajouta en levant les yeux au ciel : « Cependant j’ose dire que pas une cloche n’a fait entendre un son discordant dans la tour du monastère depuis que le père Philippe a la surintendance du carillon et du beffroi. »

L’abbé, sans répliquer, jeta ses regards sur la route tournant autour de la montagne, qui descend du midi à Kennaquhair. Il aperçut à quelque distance un nuage de poussière, et entendit le hennissement de plusieurs chevaux, tandis que l’éclat qui, de temps à autre, jaillissait des lances, lui annonçait que les troupes s’avançaient dans la vallée.

« Honte sur ma faiblesse ! » s’écria l’abbé Eustache en essuyant ses yeux, « ma vue est trop obscurcie pour que je puisse distinguer leurs mouvements ; regarde, mon fils Édouard, « car son novice favori venait de le rejoindre ; « regarde et dis-moi quelles sont leurs enseignes.

« Ce sont des Écossais, tout l’annonce, répondit Édouard ; je vois des croix blanches ; peut-être sont-ce les habitants des frontières de l’Ouest, ou bien Fernichers et son clan.

— Regarde la bannière, demanda l’abbé, et dis-moi quelles sont les armoiries.

— Les armes de l’Écosse, dit Édouard, le lion et son trescheur, écartelé, je crois, de trois écussons : serait-ce l’étendard royal ?

— Hélas ! non, répondit l’abbé, c’est celui du comte de Murray. Il a pris, avec sa nouvelle conquête, les armes du vaillant Randolphe, et a quitté les signes héréditaires qui indiquent trop clairement son origine. Dieu veuille qu’il ne les ait pas rayées aussi de sa mémoire !

— Au moins, mon père, reprit Édouard, il nous protégera contre la violence des Anglais.

— Ah ! mon fils ! comme le berger préserve de la gueule du loup une innocente brebis qu’il réserve à un banquet. Mon enfant, des