Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 13, 1838.djvu/444

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Toutes les cloches de l’abbaye furent mises alors en branle, et de tous côtés un tintement de détresse et de mort se fit entendre. Les moines pleuraient, priaient et se rangeaient dans l’ordre habituel de leurs processions, en songeant que c’était pour la dernière fois, comme tout semblait le présager.

« Il est heureux que notre père Boniface se soit retiré dans l’intérieur du royaume, dit le père Philippe ; il n’aurait jamais pu voir ce jour, cela lui eût brisé le cœur !

— Puisse Dieu recevoir l’âme de l’abbé Ingelram ! reprit le vieux père Nicolas : les choses étaient bien différentes de son temps ! on assure que nous serons chassés des murs de notre cloître. Comment vivrai-je ailleurs que dans le lieu où j’ai vécu depuis soixante-dix ans ; je n’y puis songer ! tout ce qui me console, c’est que, quelque part que ce soit, je n’aurai pas long-temps à y vivre. »

Quelques instants après on ouvrit la grande porte de l’abbaye, et la procession, marchant avec solennité, passa sous la voûte large et richement ornée. La croix et la bannière, les vases et le calice, les châsses remplies de reliques, et l’encens exhalant ses parfums précédaient cette longue et solennelle procession de moines vêtus de robes noires et de capuchons, et couverts de scapulaires. Après eux marchaient des gens d’un ordre inférieur décorés des marques distinctives de leurs emplois. Au centre se tenait l’abbé entouré et soutenu de ses principaux dignitaires. Il était revêtu de ses habits de cérémonie ; il paraissait aussi calme que s’il n’eût été occupé que de son rôle de représentation et de dignité dans une cérémonie ordinaire. Derrière lui venaient les novices vêtus de longues aubes blanches, et les frères lais reconnaissables à leur barbe, que les pères laissaient croître rarement. Des femmes, des enfants, parmi lesquels se mêlaient quelques hommes, fermaient le cortège en déplorant la ruine de leur ancien monastère. Tous néanmoins marchaient dans le plus grand ordre, et réprimaient tellement les éclats de leur douleur, qu’on n’entendait qu’un sourd gémissement à peine saisissable au milieu du chant mesuré des moines.

La procession arriva dans cet ordre à la place du marché du petit village de Kennaquhair, que l’on reconnaissait alors, comme aujourd’hui encore, à une ancienne croix, ouvrage remarquable et don précieux de quelque ancien monarque écossais. Près de la croix s’élevait un chêne immense d’une antiquité encore plus reculée, et qui peut-être avait été témoin des mystères des druides avant que les tours et les clochers du majestueux monastère se